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six mille écus par an. Comptez encore qu’il y a des buona mancia partout ; certaines gens portent quinze placets par jour, et sur quinze un ou deux réussissent ; le pétitionnaire peut dîner le soir, et voilà un métier tout trouvée Ce métier a ses suppôts ; à cet effet, on voit des écrivains publics en plein vent, le chapeau sur la tête, un parapluie à côté d’eux, leurs papiers maintenus par de petits pavés, écrivant des suppliques. Enfin, dans cette misère universelle, tout le monde s’assiste ; un mendiant n’est pas un homme déclassé, un galérien non plus ; ce sont d’honnêtes gens, aussi honnêtes que les autres, seulement il leur est arrivé malheur : sur cette réflexion, les plus pauvres donnent quelques baïoques. Ainsi s’entretient la fainéantise ; dans la montagne, du côté de Frascati, je trouvais à chaque pâturage un homme ou un enfant pour ouvrir la barrière ; aux portes des églises, un pauvre diable s’empresse de vous lever la portière de cuir. Ils attrapent ainsi cinq sous, six sous par jour, dont ils vivent.

Je connais un custode qui a six écus par mois ; outre cela, de loin en loin, il raccommode un vieil habit moyennant trois ou quatre baïoques ; la famille meurt de faim, et parfois emprunte deux pauls (vingt sous) à un voisin pour achever la semaine. Néanmoins le fils et la fille vont à la promenade le dimanche très bien vêtus. Cette fille est sage parce qu’elle n’est pas encore mariée ; une fois le mari accroché, ce sera autre chose : on trouvera tout naturel qu’elle pourvoie à sa toilette et aide son mari. Quantité de ménages vivent ainsi de la beauté de la femme : le mari ferme les yeux et parfois les ouvre ; dans ce cas, c’est pour mieux remplir ses poches. La honte ne le gêne pas ; il y a tant de pauvreté dans le mezzo ceto, et quand les enfans viennent, l’homme est si à plaindre, qu’il souffre sans se gendarmer un protecteur riche. « Ma femme veut des robes, qu’elle se gagne des robes ! » D’ailleurs l’effet général du gouvernement est déprimant ; l’homme est plié aux bassesses, il est habitué à trembler, à baiser la main de l’ecclésiastique, à s’humilier ; de génération en génération, la fierté, la force et la résistance virile ont été extirpées comme de mauvaises herbes ; celui qui les porte en soi est foulé, il a fini par en perdre la semence. Un type de cet état d’esprit est le calendrino des anciennes marionnettes, c’est le laïque accablé, affaissé, en qui le ressort intérieur est cassé, qui a pris parti de rire de tout, même de lui, qui, arrêté par des brigands, se laisse dépouiller en plaisantant et en leur disant : « Vous êtes des chasseurs ! » amère bouffonnerie, arlequinade volontaire qui aidera oublier les maux de la vie ! Ce caractère est fréquent ; le mari, résigné, avili, subit le bonheur de sa femme. Sa part faite, il se promène, va prendre au café sa tasse de trois