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le savant éditeur des œuvres complètes de Frédéric le Grand, avait déjà publié une biographie considérée comme classique chez nos voisins, et qui l’avait désigné d’avance pour la tâche laborieuse qu’il vient d’accomplir. À cette vie de Frédéric, l’auteur avait ajouté des monographies sur divers épisodes du même sujet : ici un livre sur la jeunesse du prince et son avènement au trône, là une série d’études sur les amis, les parens, les compagnons du héros ; Enfin n’oublions pas un ouvrage spécialement consacré aux rapports du poète et du roi : Frédéric le Grand et Voltaire, tel est le titre de ce livre, ou plutôt de ce manifeste, où un démocrate allemand, élève de Louis Boerne, M. Jacob Venedey, se porte le défenseur du roi de Prusse avec une incroyable violence de parti-pris, et, n’admettant pas même de circonstances atténuantes pour le poète outragé, le condamne à un pilori éternel[1].

Parmi tant d’écrivains qui ont surtout considéré Voltaire dans ses relations avec l’Allemagne, comment se fait-il que pas un seul n’ait cherché à compléter nos renseignemens sur ses trois années de séjour à Berlin ? N’y a-t-il donc à ce sujet aucune trouvaille à faire ? Les archives de l’état, les papiers de Frédéric, les mémoires des contemporains, sont-ils donc obstinément muets sur un des plus étranges épisodes du siècle passé ? On a rassemblé, il y a une soixantaine d’années, les documens du procès intenté à Voltaire par le Juif Hirschel, triste aventure qui dès le début souleva l’opinion du pays contre l’hôte de Frédéric, et qui n’est pas plus claire aujourd’hui qu’il y a cent ans, malgré la publication de toutes les pièces. Ce qui serait plus clair et surtout plus digne de l’histoire, ce seraient des renseignemens familiers sur la vie de Voltaire à Berlin, sur l’emploi de ses loisirs à Potsdam, des renseignemens directs, sincères, comme les confidences que Mme de Graffigny écrivait du château de Cirey à son ami Panpan, comme les témoignages du secrétaire Collini sur les voyages du poète et sa manière de travailler en voiture. Nous n’avons que les actes publics de tel ou tel épisode, les lettres de Voltaire et de Maupertuis, du roi de Prusse et de la margrave de Bayreuth ; les actes privés seraient ici le complètement indispensable des documens officiels, et tant que la grande décacheteuse de lettres, comme on l’a spirituellement nommée, tant que la critique de nos jours n’aura pas retrouvé la vie de Voltaire à Berlin comme on a retrouvé la vie de Voltaire à Cirey, il y aura une lacune considérable dans le tableau de la société européenne au XVIIIe siècle. Une tradition conservée chez les Berlinois affirme que Voltaire était avare et rapace ; Macaulay, d’après cette tradition

  1. Friedrich der Grosse und Voltaire, von J. Venedey, 1 vol. in-8o ; Leipzig 1859.