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à peine, il est envoyé en Laponie à la tête d’une grande expédition scientifique pour vérifier une des conjectures les plus hardies de Newton, la théorie de l’aplatissement de la terre aux deux pôles. La commission chargée du même travail dans l’Amérique du Sud est présidée par M. de La Condamine ; Maupertuis préside la commission du nord. Il part au printemps de 1736, et Voltaire le salue de ses vers spirituellement et joyeusement enthousiastes. Le poète anime les constellations polaires qui s’écrient, frappées d’admiration à la vue des intrépides voyageurs : « Ces gens sont fous ou ces gens sont des dieux ! » Il prédit que Newton va être justifié, que les calculs du génie vont être consacrés par des observations solennelles, que le globe sera bien et dûment convaincu d’être plat aux deux extrémités de son axe, et mêlant sa gaîté intarissable à ses chants inspirés, il plaisante en passant le pauvre peuple rimeur privé désormais de cette métaphore classique, de ce beau nom de machine ronde

Que nos flasques auteurs, en chevillant leurs vers,
Donnaient à l’aventure à ce plat univers.


Partez donc, Maupertuis, Clairault, Lemonnier, Outhier, vous aussi leur digne auxiliaire, vous le poète virgilien et le vulgarisateur de la science, brillant comte Algarotti, allez,

Sous le ciel des frimas,
Porter en grelottant la lyre et le compas,
Et sur des monts glacés traçant des parallèles,
Faire entendre aux Lapons vos chansons immortelles !


Ils partent, et, deux ans après, lisant le rapport de Maupertuis, Voltaire éclate en transports de joie. Il admire le voyageur et le savant, il le glorifie en prose et en vers, il écrit une page où il y a. plus de souffle épique assurément que dans toute la Henriade, il montre les dieux étonnés de l’audace de l’homme, les cieux émus, l’empyrée qui s’agite, et parmi les mondes que mesure le génie les grands maîtres apparaissant soudain, Newton et Descartes venant féliciter le Leibnitz de la France. Ces magnifiques éloges popularisent le nom du hardi voyageur, et, je le répète, celui qu’on appelait le nouveau Leibnitz ne paraissait pas tout à fait indigne alors de ce prodigieux triomphe.

Quelques années plus tard, Maupertuis est à Berlin ; le roi l’a marié, l’a doté, l’a comblé d’honneurs, l’a nommé enfin président perpétuel de son académie. Voltaire va l’y rejoindre, et bientôt ce Maupertuis, si poétiquement célébré en des épîtres enthousiastes, est l’objet des plus violentes satires, tracées par la même plume et signées du même nom. Il n’y a pas pour Voltaire de bouffonnerie