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inconvéniens, n’ayant pas la force d’écrire, il vient de dicter à. un homme sûr un écrit qui non-seulement le justifie, mais annule à jamais ce contrat, et qui doit assurément désarmer sa majesté. Je crois, mylord, que vous serez content, d’autant que si jamais ce contrat se retrouve, notre premier soin sera de le rendre, malgré l’écrit que nous vous envoyons.

« Je suis si malade et mon oncle me donne pour sa vie des inquiétudes si réelles qu’il ne me reste que la force de vous demander pour lui et pour moi votre amitié.

« MIGNOT DENIS. »

« A Francfort, ce 11 juin. »

La seconde lettre, également corrigée par Voltaire, peut-être même écrite sous sa dictée, est adressée, au roi de Prusse :


« Sire,

« Je n’aurais jamais osé prendre la liberté d’écrire à votre majesté sans la situation cruelle où je suis ; mais à qui puis-je avoir recours, sinon à un monarque qui met sa gloire à être juste et à ne point faire de malheureux ?

« J’arrive ici pour conduire mon oncle aux eaux de Plombières ; je le trouve mourant, et pour comble de maux il est arrêté par les ordres de votre majesté dans une auberge sans pouvoir respirer l’air. Daignez avoir compassion, sire, de son âge, de son danger, de mes larmes, de celles de sa famille et de ses amis. Nous nous jetons tous à vos pieds pour vous en supplier.

« Mon oncle a sans doute eu des torts bien grands, puisque votre majesté, à laquelle il a toujours été attaché avec tant d’enthousiasme, le traite avec tant de dureté ; mais, sire, daignez vous souvenir de quinze ans de bontés dont vous l’avez honoré, et qui l’ont enfin arraché des bras de sa famille à qui il a toujours servi de père.

« Votre majesté lui redemande votre livre imprimé de poésies dont elle l’avait gratifié. Sire, il est assurément prêt à le rendre, il me l’a juré. Il ne l’emportait qu’avec votre permission, il le fait revenir avec ses papiers dans une caisse à l’adresse de votre ministre. Il a demandé lui-même qu’on visite tout, qu’on prenne tout ce qui peut concerner votre majesté. Tant de bonne foi la désarmera sans doute. Vos lettres sont des bienfaits ; notre famille rendra tout ce que nous trouverons à Paris.

« Votre majesté m’a fait redemander par son ministre le contrat d’engagement. Je lui jure que nous le rendrons dès qu’il sera retrouvé. Mon oncle croit qu’il est à Paris, peut-être est-il dans la caisse de Hambourg ; mais, pour satisfaire votre majesté plus promptement, mon oncle vient de dicter un écrit (car il n’est pas en état d’écrire) que nous avons signé tous deux ; il vient d’être envoyé à mylord Maréchal, qui doit en rendre compte à votre majesté. Sire, ayez pitié de mon état et de ma douleur. Je n’ai de consolation que dans vos promesses sacrées et dans ces paroles si dignes de vous : Je serais au désespoir, d’être cause du malheur de mon ennemi ; comment pourrais-je l’être du malheur de mon ami ? Ces mots, sire, tracés de votre main qui a écrit tant de belles choses, font ma plus chère espérance.