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« J’ai reçu une lettre de Voltaire qui me parle encore de sa liberté, vous devez avoir reçu les ordres, que je vous ai donnés de le laisser aller où bon lui semblera, ainsi que sa nièce. Je n’avais d’autres prétentions sur lui que de le dépouiller de la croix, de la clé de chambellan, et de retirer le livre que je lui avais confié. Vous m’avez écrit qu’il avait satisfait à tout ce que je demandais de lui. Ne différez donc point de mettre fin à tout cela, parce que sans doute, s’il était survenu quelque incident nouveau, vous m’en auriez averti. Sur Ce, je prie Dieu ; etc…

« FREDERIC. »

« A Potsdam, ce 9 juillet 1753. »


Tel était le zèle acharné de Freytag que ce second billet n’aurait peut-être pas été plus efficace que le premier, si Voltaire n’avait réussi à faire intervenir le bourgmestre de Francfort ; c’est à lui, non au résident prussien, que, Voltaire dut enfin sa liberté le 6 juillet 1753, après trente-six jours d’un emprisonnement clandestin d’abord et presque consenti, mais bientôt accompli publiquement, avec scandale et violence, au mépris de la parole jurée. Certes il y avait là de quoi faire perdre patience à un esprit moins vif et moins irritable que Voltaire ; mais il y a des situations qui obligent, et, pour la dignité du rôle que Voltaire remplissait devant l’Europe du XVIIIe siècle, nous regrettons qu’il n’ait pas eu toujours une attitude plus noble en face de son imbécile geôlier. Ce ne sont pas seulement les rapports de Freytag qui nous le montrent en flagrant délit de pasquinades, il suffit d’interroger Collini pour s’édifier sur ce point. Qu’est-ce par exemple que cette scène dans la cour de M. Schmid ? « Tandis qu’il était dans la cour, raconte Collini, on vint m’appeler et me dire d’aller le secourir. Je sors, je le trouve dans un coin, entouré de personnes qui l’observaient de crainte qu’il ne prît la fuite, et je le vois courbé, se mettant les doigts dans la bouche et faisant des efforts pour vomir. Je m’écrie, effrayé : « Vous trouvez-vous donc mal ? » Il me regarde, des larmes sortaient de ses yeux, il me dit à voix basse : Fingo, fingo… Ces mots me rassurèrent. » Prétendait-il s’enfuir, comme l’ont cru ses gardiens ? ne songeait-il qu’à se moquer d’eux et à bafouer la pudeur de Mme Schmid, comme M. Schmid se l’est imaginé ? ou bien faut-il admettre l’explication de Collini et dire qu’il croyait par ce stratagème apaiser la fureur de cette canaille ? En tout cas, ce n’est pas ainsi qu’un Voltaire devait se défendre. Qu’est-ce encore que la scène du pistolet le matin même du jour où Voltaire est rendu enfin à la liberté ? Cette scène, plus puérile que sérieuse assurément, Voltaire l’avait niée dans ses mémoires ; mais Collini l’a racontée en détail, et le rapport de Freytag la confirme aujourd’hui. En s’oubliant de la sorte, Voltaire nous découvre