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qui est le plus important des États-Unis, occupe un très grand nombre d’ouvriers : on y garde toujours 200,000 fusils. Il n’est certainement pas de ville, d’industrie moins noire et moins triste : les ateliers ressemblent de loin à des palais ; la force hydraulique étant presque la seule employées le ciel n’est point assombri par les fumées du charbon ; les coquettes villas sont comme ensevelies derrière le feuillage des ormes et des érables ; rien ne vient ternir les contre-vents verts, les colonnettes blanches des vérandahs, les bois peints de toute couleur, les angles et les moulures du grès rouge. L’industrie ne traîne pas encore à sa suite, dans la Nouvelle-Angleterre, les haillons de la misère, la dégradation des mœurs, l’abrutissement, l’ignorance ; l’homme est regardé comme un produit aussi important que ceux que le commerce échange : l’ouvrier reste supérieur à l’œuvre.

Springfield n’est pas très éloigné d’Albany, la capitale politique de l’état de New-York. On traverse d’abord la partie occidentale du Massachusetts, la plus montueuse, la plus pittoresque de cet état. On suit quelque temps un des affluens du Connecticut, puis on entre dans le grand bassin de l’Hudson. Aux approches d’Albany se voient les monts Catskill, dont les crêtes ont ces formes quadrangulaires, simulant des tours crénelées, des ruines, des marches d’escalier, qui presque toujours caractérisent les montagnes de grès. La vallée de l’Hudson se déroule à perte de vue avec ses bois, ses prés, ses nombreux villages. La transition entre le Massachusetts et le New-York se marque assez nettement : dans ce dernier état, les champs, les enclos sont plus vastes, les bâtimens de ferme plus spacieux, les maisons d’habitation en revanche plus petites et moins propres. À Albany, les voyageurs descendent des wagons et montent sur un bateau à vapeur qui va sans cesse d’une rive à l’autre de l’Hudson. Ces bateaux-bacs, sans poupe ni proue, sont de véritables rues mouvantes : au milieu du pont se tiennent les voitures, les omnibus, les chevaux, les camions ; des deux côtés sont de longues salles d’attente pour les piétons. Quand le bateau arrive au quai de débarquement, l’extrémité du large pont se place au niveau d’un plancher mobile ; voitures et piétons, sans perdre un moment, se ruent dans toutes les directions, et le bateau, sans se retourner, repart bientôt pour l’autre rive.

La rivière Hudson est une des principales artères du commerce des États-Unis. C’est sur ses eaux que Robert Fulton fit en 1808 le premier essai de la navigation à vapeur. Quelle serait sa surprise, s’il pouvait voir aujourd’hui les gigantesques steamers étages qui vont sans cesse de New-York à Albany, emportant des centaines de voyageurs ! Les derniers construits sont assurément les plus beaux spécimens. de bateaux de rivière qui existent dans le monde entier.