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allemandes, faites de deux longues planches soutenues contre quatre piquets et traînées par des chevaux rustiques, passent à côté des beaux camions peints en rouge et des longs omnibus qui roulent sur des rails. Il y a quelque part des monumens, un hôtel de ville, un palais de justice, une douane, une banque bâtie dans le style grec, un théâtre, un muséum ; mais le vrai monument de l’ouest est toujours l’hôtel : dans les vastes antichambres pavées en marbre se presse incessamment un peuple de voyageurs, de curieux, de spéculateurs occupés à lire les journaux, les monstrueuses affiches, les nouvelles télégraphiques, la cote de l’or et le registre où s’inscrivent les nouveaux arrivans. Les domestiques noirs courent en tous sens ; de la buvette (bar-room), remplie de groupes bruyans, sort une odeur de tabac et d’eau-de-vie. Dans les salons couverts de riches tapis aux éclatantes couleurs, les dames reçoivent leurs visites ; parfois une jeune fille essaie la dernière valse de Paris sur un piano dont les touches lassées ne rendent plus qu’un son faux et éteint. Dans l’énorme salle à manger s’allongent, les tables autour desquelles on s’assoit à toute heure et où, sous des noms différens, on fait trois ou quatre fois par jour le même repas. À côté d’une femme habillée avec la dernière élégance, dont les fines mains couvertes de bagues ne touchent aux mets qu’avec une savante lenteur, s’assoit un robuste fermier qui en quelques instans a dévoré tout ce qu’on lui apporte. Un enfant boit du lait à la glace dans un verre pendant qu’un officier en congé vide une bouteille de catawba. Les nègres agiles et sourians se tiennent derrière les taciturnes mangeurs, surveillant leurs moindres désirs et toujours prêts à les satisfaire. L’hôtel est dans l’ouest, avec le meeting politique, un organe et un instrument de sociabilité ; la vie est trop affairée pour les rapports sociaux qui demandent des loisirs, qui exigent le goût désintéressé des choses de l’esprit, l’application demi-sérieuse, demi-frivole, à la poursuite d’un idéal de convention. La rudesse démocratique ignore ou dédaigne les nuances, les degrés, les classifications ; au milieu de tant d’égaux, l’homme se sent en réalité seul. Chacun a sa maison où, avec sa femme et ses enfans, il s’enferme ; mais à l’hôtel l’Américain voit de nouveaux visages, il entend parler d’autre chose que de ses propres affaires, il apprend à aimer l’ordre, la propreté, le luxe, les chambres spacieuses et élevées ; il forme ses manières sur celles des étrangers auxquels il se trouve mêlé. Il épie les mouvemens, écoute les moindres paroles des personnages célèbres, généraux, hommes d’état, orateurs ou écrivains, que le hasard a pour un jour amenés à ses côtés. Parmi ce flot continuel de nouveaux arrivans, au milieu de tant de figures diverses, il en vient à connaître mieux que sur les cartes la grandeur de son pays : s’il ne peut en visiter Tous