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Ils entrent dans la petite rivière qui a donné son nom à la ville, et qui, dans son milieu, se divise en deux branches ; douze ponts tournans les traversent, et font communiquer les diverses parties de la cité. De petits remorqueurs, pareils à de gros insectes flottant sur l’eau, traînent sans cesse les bateaux chargés de blé. Chicago est un entrepôt colossal ; il reçoit d’une part les céréales de l’ouest, de l’autre tous les produits manufacturés que les états de l’est lui envoient en échange. Aussi quelques rues ont-elles autant d’animation que la Cité de Londres. Partout on bâtit : les anciennes maisons de bois sont jetées bas pour faire place à des maisons hautes et vastes ; on construit déjà pour l’avenir, on taille le beau marbre d’Athènes (l’Athènes de l’Illinois), on sculpte le bois, on mêle à la pierre les belles briques de Milwaukee, d’une couleur claire et dorée. Il n’y a pas une ville de l’Union qui ait une rue comparable à l’Avenue-Michigan, bordée sur une immense longueur de charmantes maisons, qui ont toutes vue sur le lac. Elles ne sont point une copie servile les unes des autres, comme les maisons des quartiers élégans de New-York. Beaucoup d’entre elles ont des toits à la Mansard, et en général il m’a semblé y reconnaître une tendance à l’imitation des formes françaises, qui se trahit aussi à l’intérieur dans les ameublemens. On goûte mieux nos usages, nos modes, sur les rives du lac Michigan qu’aux bords de la Tamise. Les églises, presque toutes asservies au style gothique, sont en revanche d’un goût détestable. Il est une rue, dont j’oublie le nom, où il y en a presque autant que de maisons. Toutes les sectes se coudoient, et les congrégations, n’étant pas très nombreuses, ne bâtissent point de monumens assez spacieux pour avoir un grand air architectural. Les églises gothiques en particulier, qui sont comme des réductions, ont quelque chose de pauvre, de mesquin et souvent de grotesque. L’architecture religieuse est au reste, dans tous les États-Unis, soumise à des conditions particulièrement défavorables. J’ai fait le calcul qu’il y a en moyenne une église pour mille habitans sur l’étendue entière du pays. Il n’est pas besoin de vastes nefs, d’ailes spacieuses, de voûtes inaccessibles dans les temples où se réunissent ces petites congrégations, et qu’elles sont obligées d’élever de leurs propres deniers. Dans les communautés protestantes, l’église perd tout ce que gagne le sentiment religieux.

Si Chicago est en quelque sorte la ville représentative de l’ouest, son rôle peut être figuré par deux sortes d’établissemens, les élévateurs et les abattoirs dits packing-houses. Ce sont les deux mamelles de l’ouest d’où sortent sans cesse le pain et la viande. J’allai d’abord voir un élévateur. Qu’on se figure un vaste édifice sans fenêtres, très élevé, subdivisé à l’intérieur en plusieurs étages. L’étage