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recueilli et mis à part ; le porc dépouillé et fendu vient prendre sa place dans un magasin où il se dessèche avant d’être découpé. Il y a quelque chose d’homérique dans ce perpétuel massacre, et l’on finit par trouver une poésie sauvage dans ces scènes sanglantes ; on oublie ce qu’il y a de révoltant et d’odieux, pour ne penser qu’à l’ordre, à l’activité, à la grandeur des résultats obtenus. Le malheureux ouvrier qui achète la viande à bon marché dans les faubourgs de Liverpool ou de Londres sait-il qu’il la doit à ces rudes bouchers de Chicago, dont les bras trempent toute la journée dans le sang ? Les abattoirs sont de vastes laboratoires où s’amassent les matériaux nécessaires à la vie humaine : la fleur sauvage de la prairie, la gentiane azurée, les graminées avec lesquelles a joué le vent descendu des Montagnes-Rocheuses, ont passé dans ces chairs où jouent aujourd’hui la hache et le couteau, et qui deviendront bientôt la chair d’un peuple.

Le commerce de la viande s’est développé à Chicago avec autant de rapidité que celui du blé. Cincinnati était, il y a encore quelques années, le marché principal des porcs, ce qui lui avait valu le surnom de Porcopolis ; mais aujourd’hui Chicago a pris les devans : par les lacs, les canaux et les chemins de fer qui de toutes parts y rayonnent, cette ville peut distribuer la viande plus rapidement et plus économiquement que nulle autre. En 1863-64, on a mis en barils dans les 58 abattoirs de Chicago 904,659 porcs ; pendant l’année 1862-63, le chiffre était presque d’un million ; en 1857-58, il n’était que de 99,262 : il a donc décuplé en six années. Pendant, l’année qui finissait au 31 mars 1864, on avait reçu en outre à Chicago 300,622 têtes de bestiaux contre 209,655 reçus pendant l’année qui avait précédé. Un grand nombre de bœufs ne font que traverser la ville et sont dirigés par le lac vers les états de l’ouest. La ville de New-York par exemple, qui en 1863 a consommé 264,091 têtes de bestiaux, en a reçu 118,692 de l’Illinois. Veut-on savoir ce que cette ville de meuniers, de bouchers et de marchands fait pour l’éducation primaire : elle a fondé 17 écoles de district et une école supérieure. Pendant l’année 1863, ces écoles ont été fréquentées chaque jour en moyenne par 10,000 élèves. Le fonds des écoles (school fund), qui consiste en terres concédées par la municipalité, est estimé à 900,000 dollars. Aux revenus qui en dérivent s’ajoute la taxe des écoles, votée et perçue chaque année. Pendant l’année 1863, le budget de l’instruction primaire a été de 146,655 dollars, ce qui permet de porter la dépense par élève en moyenne à 12,67 dollars (il ne faut pas oublier que ces sommes sont évaluées en papier-monnaie : en or, au cours de 200, le budget des écoles s’élèverait encore à 366,635 francs).