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les longs antagonismes, les institutions locales, introduisent des forces conservatrices dans l’état. L’Individu peut bien plus facilement jouer avec ces forces divergentes et souvent contraires qu’il ne peut échapper à cette force souveraine, unique, écrasante, qui entraine tout devant elle dans une jeune démocratie. C’est dans les anciens états seulement que surgissent les idées nouvelles et que survivent les idées surannées. Le Massachusetts seul a pu servir pendant de longues années de forteresse aux abolitionistes. C’est là aussi que les doctrines du vieux parti fédéraliste ont résisté le plus fortement à l’école démocratique triomphante. Cet état restera longtemps encore le guide et comme le protecteur intellectuel du pays, car c’est là que les droits de l’intelligence individuelle sont le plus hautement reconnus et le mieux sauvegardés.

Tant que durera l’influence morale des états de l’Atlantique sur ceux de l’ouest, il n’y a point lieu de trop redouter ce qu’on pourrait nommer l’ivresse démocratique de ces derniers états. Il faut réfléchir aussi que l’esprit d’anarchie ne peut faire de grands progrès dans une communauté liée au sol et vouée principalement à l’agriculture. Dans chaque nouveau sillon creusé par la charrue germent avec les premiers blés l’instinct conservateur et l’amour de la patrie. Le pied posé au centre du continent, le robuste fermier de l’ouest s’en considère comme le maître et le roi : l’Amérique véritable ne commence pour lui que sur les versans occidentaux de la chaîne alléghanienne ; la fierté nationale qui s’allume dans son cœur n’est pas seulement nourrie par la passion démocratique, elle s’inspire encore du spectacle de ces plaines sans limites ouvertes à son ambition, de ces fleuves géans dont les uns courent vers les régions polaires, les autres vers les mers tropicales. Les vieux états sont restés, à beaucoup d’égards, des dépendances de l’Europe, ils lui empruntent non-seulement des étoffes et des machines, mais encore des idées ; l’ouest échappe entièrement à cette action de l’Europe. Par je ne sais quel charme étrange, quelle puissante fascination, ceux qui marchent vers les Montagnes-Rocheuses ne regardent plus vers l’Atlantique ; l’émigrant de la Nouvelle-Angleterre ne regrette point dans la prairie les collines où il est né, l’Irlandais ne songe pas à retourner dans son île humide, l’Allemand lui-même, fidèle encore à sa langue natale, devient infidèle à son pays. De ces races diverses sort une race nouvelle, forte comme le sol généreux qui la nourrit, indépendante et fière. L’amour de la liberté, le sentiment de l’égalité, deviennent pour elles comme des passions congénitales ; ses croyances politiques ne sont pas, comme chez l’Européen, des armes contre une tyrannie ; elles n’ont pas besoin de s’envelopper de formules ; sa foi est une foi