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cette campagne, qui a pu conduire nos armes au sein des défenses ennemies les plus inaccessibles sans être prodigue du sang français ; nous ne la voulons juger aujourd’hui que par le côté pacificateur. Domination et conciliation, tel fut le but. Ouverture d’une route et construction d’un fort dans la montagne, respect pour les immunités nationales des vaincus, voilà les moyens.

On ne saurait certes plus clairement prouver qu’on prétend dominer un pays que lorsqu’on le pénètre par des voies de communication appuyées sur des établissemens permanens ; tôt ou tard l’ennemi se courbe devant des argumens de cette sorte. Si des expéditions nouvelles deviennent nécessaires, la route leur est ouverte ; mais elle est ouverte aussi au commerce, à l’industrie, au mouvement des intérêts et des idées, à tout ce qui contribue le mieux enfin à rendre les expéditions inutiles. Déjà, pendant l’année 1856, la route allant d’Alger vers le Djurdjura avait été poussée d’une part jusqu’à Tizi-Ouzou, à trois lieues des premières pentes des Aït-Iraten, de l’autre jusqu’à Dra-el-Mizan[1], au débouché de la vallée qui descend du massif des Zouaouas ; les forts de Tizi-Ouzou et de Dra-el-Mizan, développés, transformés en de vraies places de guerre et de dépôt, étaient devenus de solides assises de l’occupation définitive[2] ; le prolongement de la route jusque sur les crêtes et la construction en pleine montagne d’un fort visible de tout le Djurdjura devaient en être le couronnement.

À la guerre, où les événemens se pressent, dès qu’une chose est utile, elle est urgente. Au lendemain même de leur première victoire et de la soumission des Aït-Iraten, les troupes s’arrêtaient dans leur marche offensive ; le fusil faisait place à la pioche. En moins de trois semaines, à travers des obstacles inouïs, l’armée perçait, entre Tizi-Ouzou et l’emplacement choisi pour Fort-Napoléon, une voie carrossable large de 6 mètres, longue de près de sept lieues, et la vue d’un aussi merveilleux travail arrachait ce cri à un marabout kabyle : « La religion de ces hommes serait-elle plus grande que celle de Mahomet ? » Le fort lui-même, il le fallait commencer sans retard, afin de l’avoir terminé et ravitaillé avant l’hiver[3], il le fallait pour bien convaincre les tribus restées

  1. Tizi-Ouzou est à vingt-cinq lieues est d’Alger, Dra-el-Mizan à vingt-trois lieues est-sud-est d’Alger et à douze lieues sud-ouest de Tizi-Ouzou.
  2. Par le côté de l’Oued-Sahiel, entre Aumale et Bougie, les forts échelonnés de Bordj-Bouira, Bordj-des-Beni-Mansour et Akbou complétaient l’investissement de la montagne.
  3. On était alors en juin 1857. Fort-Napoléon fut construit de manière à servir non-seulement comme point d’occupation, mais au besoin comme base d’opérations. Le contour est de 2,400 mètres, l’enceinte de 5 mètres de hauteur sur une épaisseur de 50 centimètres, épaisseur très suffisante contre un ennemi sans artillerie. Quatre bataillons sont à l’aise dans la place, organisée pour se suffire à elle-même lorsqu’elle a ses communications coupées par les neiges.