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d’une simple question d’intérêt communal, court aux armes ; ou se bat dans les rues, on monte sur le toit des maisons pour se jeter des tuiles à la tête, il y a des morts et des blessés, — tout cela en moins de temps qu’il n’en fallut au commandant de Fort-Napoléon pour être averti et intervenir. Quand l’autorité française s’empara d’une douzaine de meneurs qui durent passer devant une commission disciplinaire, elle n’éprouva pas l’ombre d’une résistance. Le tiers des maisons n’avait plus de toits ; une partie des habitans fut forcée d’aller demander asile à des villages voisins : cela leur importait peu, ils étaient contens, ils venaient de se témoigner à eux-mêmes qu’ils étaient encore des citoyens libres et armés. Or le Kabyle se montre fier d’avoir gardé son fusil, et il sait gré aux conquérans de le lui avoir laissé. On a bien fait : l’essentiel, c’était de lui ôter non pas le fusil, mais le plus possible les occasions de s’en servir, et ces occasions disparurent en partie avec la soumission générale ; les anciennes rivalités de kebilas et de tribus ont perdu depuis leur raison d’être. Cependant un trait particulier du caractère kabyle promettait surtout une aide précieuse aux moyens de pacification ; le Kabyle est marchand non moins que guerrier : pousser son activité sur la pente de l’industrie et du commerce, développer et satisfaire ce penchant spécial de sa nature, c’était peut-être offrir à son humeur belliqueuse la plus sûre diversion ; on a essayé, l’événement prouve que l’on a réussi.

Voilà bientôt huit ans que les Kabyles du Djurdjura tiennent envers nous leurs promesses ; c’est qu’aussi la France a tenu les siennes. Malgré les changemens dont le gouvernement de l’Algérie a été l’objet, aucune main heureusement n’est venue toucher à l’œuvre fondée dans le Djurdjura en 1857 ; qu’on juge alors de ce que peut sur un pays conquis un système juste suivi durant des années invariablement ! Seule, la confiance que le vainqueur met dans son œuvre commande la confiance du vaincu, et celui-ci se laisse volontiers conduire quand il sait où il va, et plus encore quand il voit que le conquérant sait où il le mène. Par cela même que l’organisation donnée au Djurdjura a persisté depuis la conquête, elle s’est éprouvée et affermie, et a déjà porté ses fruits pour les vainqueurs comme pour les vaincus

Nous demandera-t-on quels bénéfices la France a retirés de cette organisation ? Mais ne serait-ce pas assez que la fidélité de la Grande-Kabylie tout entière ainsi maintenue au sein de la contagion insurrectionnelle qui l’enveloppait ? Ne serait-ce pas assez que, pour occuper la Grande-Kabylie pendant l’année 1864, la France ait eu besoin de beaucoup moins de soldats que jadis pour bloquer seulement le Djurdjura insoumis ? Avant la campagne de 1857,