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se sont aperçus que l’exportation pourrait leur devenir plus profitable, s’ils faisaient des huiles sans odeur semblables aux huiles européennes, ils songèrent promptement à perfectionner leur fabrication, et ils sollicitèrent à cet effet l’aide de l’autorité française. Cette aide leur était tout acquise, et voici ce que nous avons pu constater nous-même durant l’automne dernier dans le cercle de Dra-el-Mizan, où l’intelligente initiative du commandant supérieur est couronnée aujourd’hui d’un plein succès. Ce cercle de cinquante-quatre mille âmes a vu s’élever, depuis la fin de 1863, huit usines à huile appartenant à des propriétaires kabyles, et dont les bâtimens et les appareils, tels que triturateurs, chaudières, etc., ont été complètement, sauf les presses, construits par des mains kabyles. Les presses, du dernier modèle, fabriquées à Marseille, reviennent à 1,000 francs chacune aux propriétaires d’usine ; toutes les pièces en sont faciles à démonter et à remonter ; le poids total est de onze quintaux. Il fallait dix mulets pour le transport d’une presse : les villages auxquels appartenaient les usines et qui les premiers en devaient profiter organisèrent spontanément une touïza ou corvée générale de dix mulets par presse pour transporter ces utiles appareils d’Alger dans la montagne. Construction d’usine et achat de la presse, le tout n’a pas dépassé 2,000 fr. par moulin. Or les propriétaires de ces moulins nouveaux ont gagné en 1864, sur le rendement, un tiers, et sur le prix de vente un cinquième de plus qu’autrefois. Les huit moulins ont fait dans l’année 200,000 litres d’huile ; des échantillons de cette huile envoyés à l’exposition de Bayonne y ont été primés ; goûtés et analysés à Paris, ils ont paru pouvoir lutter avec nos meilleures huiles de Provence. Avec la fabrication ancienne, le maximum du prix était de 90 centimes par litre ; avec la nouvelle, il est de 1 franc 20 centimes sur le marché d’Alger, Ainsi voilà plus de 200,000 fr. de rendus rien que par les huiles dans un cercle qui ne nous paie que 95,000 francs d’impôts ! Si le nombre des moulins se multiplie et si le débit croît dans la même proportion, certes avant dix ans la production des huiles atteindra un million dans le seul cercle de Dra-el-Mizan, dont la population ne forme que le septième de celle de la Grande-Kabylie, Est-il besoin d’insister sur le bénéfice que cela promet à la France même ? S’il a été de bonne tactique d’imposer faiblement d’abord les populations du Djurdjura, il ne peut que sembler naturel d’augmenter proportionnellement leurs impôts avec l’augmentation de leur richesse publique, surtout quand cette richesse, c’est à nous qu’ils la devront.

En résumé donc, la France, pour avoir rencontré juste le système d’organisation qui convient le mieux aux Kabyles et y avoir persévéré, pour avoir compris leurs tendances et les avoir encouragées,