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nouvelle façon d’éditer les auteurs français. Nous ne sommes plus au temps où Voltaire écrivait : « Quel service l’Académie française ne rendrait-elle pas aux lettres, à la langue et à la nation, si, au lieu de faire imprimer tous les ans un volume de complimens, elle faisait imprimer les bons ouvrages du siècle de Louis XIV, épurés de toutes les fautes qui s’y sont glissées ! » Notre goût est bien différent aujourd’hui. Nous ne souffririons pas que, sous prétexte d’épurer un ouvrage, on se permît de le refaire, et qu’on le mît à la mode du jour toutes les fois qu’on trouve qu’il a vieilli. On comprendrait à la rigueur, si les lettres n’étaient qu’une sorte de régal pour les délicats, qu’on voulût rendre leur plaisir complet en supprimant dans les anciens auteurs tout ce qui s’éloigne de notre manière de voir ou de notre façon de parler ; mais depuis que le goût de l’histoire a pénétré dans l’étude de la littérature, et que nous cherchons dans nos chefs-d’œuvre l’image du passé autant qu’un plaisir pour le présent, nous ne demandons plus à nous retrouver tout à fait, dans les écrivains d’autrefois. Nous comprenons qu’ils pensent et qu’ils parlent à leur manière. Au lieu de vouloir à toute force les rapprocher de nous, nous trouvons plus simple d’aller vers eux. Nous leur permettons d’être de leur temps, et nous leur savons gré de nous le faire connaître. Bien loin d’effacer de leurs ouvrages les façons de parler qui leur sont propres, nous les notons avec soin parce qu’elles nous font mieux comprendre les différences qui séparent leur époque de la nôtre. Même ces locutions qui seraient vicieuses aujourd’hui et qui scandalisaient Voltaire, nous nous gardons bien de les corriger ; elles nous permettent de suivre les vicissitudes de notre langue et attestent ses progrès. On peut donc affirmer que nous ne pourrons avoir une histoire complète et sûre de la société et de la langue françaises que lorsqu’on nous aura donné des éditions parfaitement exactes de nos grands’ écrivains, et que nous serons certains de posséder leurs ouvrages tels qu’ils sont sortis de leurs plumes.

C’est ce qu’a compris un éditeur habitué par trente ans de succès à deviner et à satisfaire les goûts du public. M. Hachette avait vu l’importance qu’ont prise, en ces dernières années, dans l’Europe entière, les sciences philologiques et le besoin qu’elles ont fait naître chez tout le monde de la vérité et de l’exactitude rigoureuse en toute chose. Il s’était demandé pourquoi l’on ne traiterait pas nos écrivains comme ceux de l’antiquité, et si la publication des ouvres de Bossuet et de Corneille ne méritait pas la peine qu’on se donne depuis cinq siècles pour les poèmes de Virgile et les dialogues de Platon. Il résolut donc d’appliquer aux chefs-d’œuvre de notre littérature la méthode qu’on emploie tous les jours pour réviser, pour établir le texte des auteurs anciens, et forma le plan de