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quelles on parle. Ils triomphent de l’imprudence de certains aveux ou de la fatuité de certains éloges, parce qu’ils ne saisissent pas la fine ironie qui les tempère. Pour bien apprécier toutes ces nuances, pour rendre aux choses leur importance véritable, pour être bon juge de la portée de ces phrases qui se disent avec un demi-sourire et ne signifient pas toujours tout ce qu’elles semblent dire, il faut avoir plus d’habitude de la vie qu’on n’en prend d’ordinaire dans une université d’Allemagne. Pour dire ce que je pense, dans cette appréciation délicate, je me fierais peut-être plus encore à un homme du monde qu’à un savant.


II

Après avoir satisfait notre esprit à lire et à admirer ces deux correspondances, il convient d’y chercher un plaisir plus grave. Quels que soient ici les agrémens littéraires, l’intérêt historique est plus grand encore. Je ne veux pas dire seulement qu’elles nous racontent d’une façon plus exacte les événemens politiques ; le service qu’elles nous rendent est bien plus important : elles nous font voir le passé par ces côtés intimes et familiers dont l’histoire ne s’occupe pas, et qui sans leurs indiscrétions seraient perdus pour nous. Essayons donc de profiter des renseignement secrets qu’elles nous donnent, et pénétrons avec elles jusqu’au cœur des sociétés dont elles nous entretiennent.

Entre la vie publique et la vie de famille, il y en a d’ordinaire une autre qui tient le milieu et qu’on appelle la vie du monde. Elle existe à peu près partout de quelque manière. Pour peu que la société qu’on étudie soit lettrée et polie, il est impossible qu’on n’y rencontre pas quelques-unes de ces réunions où le besoin d’échanger leurs idées rassemble des gens qui se conviennent par leurs opinions et leurs habitudes ; mais l’importance de ces réunions varie suivant les époques. À Rome, sous le gouvernement républicain, la politique occupait trop les esprits pour laisser au reste beaucoup de place. Les grandes choses qui se passaient tous les jours sur le Forum et le Champ-de-Mars y attiraient la foule, et quand les affaires sérieuses étaient finies, ces mêmes lieux devenaient le théâtre des divertissemens et des plaisirs. Tandis que les curieux écoutaient, les charlatans et regardaient les joueurs de paume, la belle compagnie se promenait sous les portiques qui entouraient le Champ-de-Mars, et près de cet endroit du Forum où l’on avait placé le premier cadran solaire[1]. C’était le rendez-vous ordinaire des élégans

  1. Cicéron, voulant faire entendre qu’un de ses cliens n’est pas un homme du monde, dit : « On ne le voit pas près du cadran solaire ni au Champ-de-Mars ; — non ad solarium, non in Campo versatus est. »