Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/995

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

car tout le monde ne se plaît pas toujours aux mêmes sujets. Il faut aussi remarquer le moment où la conversation cesse d’intéresser, et, de même qu’on a pris son temps pour la commencer, on doit savoir la finir à propos. »

Ces réunions de grands personnages, distingués par leur naissance et leurs manières, et qui, malgré les fonctions dont ils étaient revêtus, trouvaient le temps d’aimer la philosophie et les lettres, devaient avoir, à ce que je crois, plus d’un rapport avec ce monde du XVIIe siècle que la correspondance de Mme de Sévigné nous fait entrevoir. Il y avait cependant de grandes différences. D’abord les sujets d’entretien n’étaient pas tout à fait les mêmes. En France, on ne s’occupe pas des affaires publiques, ou l’on en parle le plus bas qu’on peut. Le pouvoir absolu ne permet pas qu’on les discute, et il lui déplaît qu’on s’en entretienne. Nous voyons dans Saint-Simon que Louis XIV n’aimait pas plus les discoureurs que Napoléon ne souffrait les idéologues. Aussi les personnes sages, comme Mme de Rambouillet, avaient-elles prudemment banni la politique de leurs salons. En revanche, si l’on ne s’occupait pas des affaires publiques, on y causait beaucoup des choses privées. À la place des secrets d’état, qu’il n’était pas sûr de vouloir percer, on cherchait à découvrir les mystères du cœur : c’était une curiosité que l’autorité la plus soupçonneuse ne pouvait pas trouver coupable. On y faisait, en se jouant, des études, ou, comme on disait, des anatomies de sentimens et de passions qui laissaient bien loin d’elles Théophraste et ses savans traités. C’était le résultat naturel de l’admission des femmes dans ces sociétés polies. Crassus et Antoine, Lælius et Scipion, Cicéron et Atticus devaient naturellement converser entre eux des choses qui les occupaient sans cesse, la politique, la philosophie, l’art oratoire ; mais les femmes imposent d’autres sujets. Comme les passions sont le grand intérêt de leur vie, elles ont amené la mode de s’en entretenir, et c’est ainsi que ces fines analyses sont devenues l’occupation et le charme des salons où elles dominent.

Une autre différence entre la société polie du XVIIe siècle et celle du temps de Cicéron, c’est que ces sortes de réunions qui constituent la vie du monde étaient beaucoup moins fréquentes chez les Romains. Elles n’avaient rien de régulier ni de suivi, et le plus souvent le hasard seul, en réunissant dans un même lieu des gens d’esprit qui se connaissaient, leur donnait naissance. Il y a loin de là à ces salons ouverts tous les soirs comme l’hôtel Rambouillet, ou à ces réceptions à jour fixe comme les samedis de Mlle de Scudéry ; mais à Rome les loisirs étaient rares. Les hommes politiques, occupés des intérêts de leurs candidatures, des affaires