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fière devant ses juges. « J’étais républicaine bien avant la révolution, leur dit-elle, et je n’ai jamais manqué d’énergie. — Qu’entendez-vous par énergie ? — La résolution que prennent ceux qui mettent l’intérêt particulier de côté et savent se sacrifier pour la patrie. » Elle n’a qu’une crainte, c’est que son défenseur Chauveau-Lagarde n’essaie de plaider la folie : elle ne veut pas être justifiée ; elle accepte devant les hommes et devant Dieu la responsabilité de son action. Elle vient d’être condamnée à mort ; elle se tourne du côté de Chauveau-Lagarde. « Je vous remercie bien, lui dit-elle, du courage avec lequel vous m’avez défendue d’une manière digne de vous et de moi. Ces messieurs me confisquent mon bien, mais je veux vous donner un plus grand témoignage de ma reconnaissance, je vous prie de payer pour moi ce que je dois à la prison, et je compte sur votre générosité. » Portant la chemise rouge des assassins, elle gravit d’un pas ferme les degrés de la charrette fatale. « Vous trouvez que c’est bien long, n’est-ce pas ? lui dit Sanson, l’exécuteur des hautes-œuvres. — Bah ! lui répond-elle. Nous sommes toujours sûrs d’arriver. » A l’heure où le soleil se couche derrière les arbres des Champs-Elysées, la charrette arrive sur la place de la Révolution. Sanson veut se placer devant Charlotte pour l’empêcher de voir la guillotine ; mais elle se penche et lui dit : « J’ai bien le droit d’être curieuse, je n’en ai jamais vu. » Au moment où elle monte sur l’échafaud, plus calme, plus impassible que jamais, on entend des voix qui murmurent : « Quel dommage ! si jeune et si belle ! » Elle salue la foule avec un doux sourire, et de son propre mouvement place la tête sur la bascule. « Elle nous tue, dit Vergniaud, déjà emprisonné ; mais elle nous apprend à mourir. »

S’il ne fut pas donné à la marquise de Montagu, comme à la princesse de Lamballe et à Charlotte Corday, d’offrir sa vie en holocauste, elle tient du moins un noble rang parmi ces femmes du dernier siècle qui ont montré à la France, aussi bien qu’aux nations étrangères, le spectacle d’un courage au niveau des plus grands malheurs. Emportée sur la terre d’exil par le flot révolutionnaire, elle est venue en aide aux misères innombrables de l’émigration, et par son initiative individuelle elle à prouvé que, comme la foi, la charité fait des miracles. Elle a été grande par la résignation, par la bonté, par le cœur. L’histoire de la marquise de Montagu n’était d’abord qu’un recueil de souvenirs de famille qui n’était point destiné au public ; mais ce livre, tiré à un nombre très restreint d’exemplaires et réservé pour ainsi dire à un petit cénacle, a paru si touchant aux rares lecteurs qui en avaient eu connaissance, que l’auteur, tout en refusant de dire son nom, a consenti à faire vendre l’ouvrage au profit des pauvres.

La vertu de cette sainte femme ne procède pas de la même source que le courage de Charlotte Corday. M. Chéron de Villiers insiste, je le sais, sur les sentimens religieux de son héroïne, sur l’éducation chrétienne qu’elle reçut de son oncle, l’abbé de Corday, sur la piété qu’elle témoignait à l’Ab-