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baye-aux-Dames de Caen, sur sa profonde répulsion pour les ecclésiastiques assermentés, les intrus, comme elle les appelle dans ses lettres, sur son indignation contre ces lâches paysans qui la veille allaient à la messe et le lendemain auraient vendu leur curé. Il soutient que si, avant de mourir, elle refusa de se confesser, ce fut, comme Marie-Antoinette, parce que ses principes lui défendaient de recevoir le pardon du Seigneur par l’intermédiaire d’un prêtre assermenté. Quelle que soit l’opinion qu’on se forme à cet égard, il n’en est pas moins vrai que l’action qui a immortalisé Charlotte n’a rien de chrétien, et qu’elle relève directement des souvenirs de l’antiquité païenne, si répandus et si puissans à cette époque. Mme de Montagu au contraire et son aïeule la maréchale de Noailles, sa mère la duchesse d’Ayen, sa sœur la vicomtesse de Noailles, mortes toutes trois à la même heure sur le même échafaud, sont des figures chrétiennes. Elles n’ont pas le stoïcisme impassible de Charlotte Corday, elles s’attendrissent. C’est bien moins la patrie humaine que la patrie céleste qui préoccupe leur cœur. Elles n’ont aucune pensée de colère ou de vengeance ; elles s’élèvent par un élan de piété à cette mansuétude suprême, à cette sérénité céleste qui est l’idéal de la vertu chrétienne, et au lieu de songer à frapper leurs ennemis, elles leur pardonnent du fond de l’âme. C’est le sentiment chrétien qui aida Mme de Montagu à supporter l’amertume de l’exil, la vie sans foyer, la misère qui use la santé et les forces. C’est le sentiment chrétien qui lui fit accepter sans murmure contre la Providence une des plus grandes douleurs que l’imagination puisse concevoir.

Pendant que Mme de Montagu était à l’étranger, son aïeule la maréchale de Noailles, sa mère la duchesse d’Ayen, et sa sœur aînée la vicomtesse de Noailles, étaient restées en France. Elles fermèrent les yeux au vieux maréchal, qui mourut à Saint-Germain en août 1793. Malgré l’abnégation admirable avec laquelle il avait provoqué aux états-généraux la renonciation de la noblesse à ses privilèges, le vicomte de Noailles était proscrit. Réfugié à Londres, il y attendait sa femme, tout prêt à s’embarquer avec elle pour les États-Unis. La vicomtesse avait des moyens de fuite assurés ; mais elle différa son départ pour assister son aïeul mourant. Ces trois femmes, arrêtées en octobre et d’abord détenues dans leur propre maison, par suite de la loi des suspects, avaient été transférées en avril 1794 à la prison du Luxembourg. Elles y avaient trouvé le maréchal et la maréchale de Mouchy et la veuve de Philippe-Égalité, la vertueuse fille du duc de Penthièvre, gravement malade, couchant sur un grabat, sans pouvoir se procurer un lit de sangle. La vicomtesse de Noailles faisait les lits, lavait la vaisselle. Au dire d’une des compagnes de sa captivité, « elle s’attachait le soir un cordon au bras, et de l’autre côté au lit de sa grand’mère, pour que celle-ci l’éveillât, si elle avait besoin d’elle. Elle relevait aussi sa mère auprès de la duchesse d’Orléans, et chacune à son tour passait la nuit au chevet de l’auguste malade. »

Pendant ce temps, Mme de Montagu, alors en Suisse, était en proie aux