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qui n’a pas assez d’épaisseur pour supporter le poids d’un homme. Aussi les Esquimaux choisissent-ils toujours les heures de nuit pour voyager en cette saison, et les lueurs prolongées du crépuscule suppléent assez bien à la clarté du soleil pour que l’on ne coure aucun risque de s’égarer dans l’obscurité. Malheureusement on n’a pas non plus la ressource de se construire une maison de neige pour se reposer au lieu où l’on juge convenable de s’arrêter ; ces frêles habitations ne résisteraient pas à la chaleur de la journée ; il faut donc emporter avec soi une tente et des fourrures, à moins que l’on ne soit informé au juste de l’endroit où l’on rencontrera le campement de quelque famille amie, où l’hospitalité la plus large est offerte aux voyageurs. Quant à la nourriture, on a moins à s’en occuper ; les veaux marins sortent de la mer pour se chauffer au soleil ; les canards et les autres oiseaux des régions froides se montrent en quantités innombrables ; les rennes apparaissent par troupes et ne sont pas trop sauvages, surtout dans les plaines basses et couvertes d’herbes, où ces quadrupèdes trouvent, dès que la neige fond, des pâturages abondans. A l’aspect de ces plaines verdoyantes où le passage de l’hiver à l’été semble s’opérer en un instant, le marin, qui n’a vu pendant longtemps que les glaces de la mer ou les montagnes couvertes de neige, comprend que les premiers navigateurs aient baptisé le Groenland du nom de terre verte, dès qu’ils aperçurent les herbes vivaces se dégager au printemps du linceul blanc qui les avait recouvertes pendant les longs mois de l’hiver.

Quoique la température fût devenue chaude à mesure que le soleil s’élevait sur l’horizon, à tel point que le thermomètre marquait 35 degrés centigrades le 25 juillet, ce ne fut néanmoins qu’à la fin de ce mois que le George Henry se trouva complètement libéré de la ceinture de glaces au milieu de laquelle ce navire avait passé l’hiver. Dans les baies ouvertes, les glaces disparaissent assez vite, parce qu’elles sont entraînées au large par les vents et les courans de marée ; mais il n’en peut être de même dans les havres bien abrités : toute la chaleur de l’été n’est pas de trop pour débarrasser le rivage des banquises épaisses amoncelées par l’hiver. Durant cette période de dégel, il est aussi difficile de circuler en traîneau qu’en bateau, et ce n’est qu’en sautant de glaçon en glaçon, que l’on peut aborder à la côte. M. Hall, qui avait fixé au 1er août son départ définitif pour les terres polaires à la recherche des compagnons de Franklin, se vit obligé de renoncer au projet qui M avait fait quitter l’Amérique. Ayant perdu, pendant une tempête de l’automne précédent, le bateau dont il devait se servir pour ce voyage, et jugeant avec raison qu’il eût été imprudent de partir pour un si périlleux voyage sans être convenablement équipé, il