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impraticable. Ce but philanthropique est peut-être le seul que puissent se proposer aujourd’hui les explorateurs des régions arctiques.

Lorsqu’à la fin du mois de septembre M. Hall revint dans la baie de Field après cette longue excursion au fond de la baie de Frobisher, il fut assez heureux pour y retrouver le George Henry à l’ancre dans le havre où il avait hiverné. La pêche à la baleine n’avait pas été fructueuse ; néanmoins le capitaine, Budington avait résolu de faire voile pour les États-Unis avant que la mer ne fut envahie de nouveau par les glaces flottantes. Ce départ ne pouvait être retardé, car le temps devenait froid, et des banquises commençaient même à se former le long du rivage. Les eaux de la baie semblaient épaisses comme si elles eussent été sur le point de se prendre en masse, et la proue d’un bateau les fendait avec peine. D’ailleurs, officiers et matelots, tous étaient fatigués d’un long séjour dans les terres arctiques et aspiraient à un prompt retour. Depuis seize mois qu’ils avaient perdu de vue le continent américain, aucun d’eux n’avait eu de nouvelles de son pays. Cependant ces espérances allaient être trompées. Un jour qu’il avait entrepris l’ascension d’une montagne voisine très élevée, tandis que l’équipage faisait ses derniers préparatifs de départ, M. Hall aperçut au large d’immenses flots de glace, et un examen plus attentif lui fit reconnaître que le détroit de Davis était déjà solidifié. L’hiver précédent s’était prolongé plus que de coutume, l’été avait été moins chaud ; en somme, l’année 1860 avait été plus froide que d’habitude, et les masses de glaces flottantes qui descendent du pôle n’avaient sans doute pas interrompu leur marche un seul instant, S’aventurer au milieu des glaces dans la saison des grandes nuits avec un bâtiment endommagé par une longue navigation eût été une entreprise téméraire. Il fallait donc se résigner à passer un nouvel hiver dans ces parages et se laisser enfermer pour neuf autres mois dans la baie où l’on avait été à l’abri l’hiver précédent, résolution d’autant plus triste que les vivres dont le navire était approvisionné au départ étaient presque épuisés. Faute de bois et de charbon pour combattre le froid, on pouvait, il est vrai, brûler les carcasses des baleines que l’équipage avait dépouillées ; ces ossemens sont en effet très poreux, imbibés d’huile, et donnent beaucoup de chaleur. Quant à la nourriture, il ne restait que des viandes salées qui auraient infecté l’équipage de scorbut. Il était donc nécessaire d’adopter le genre de vie des Esquimaux et de se nourrir comme eux des produits de la chasse. Les hommes de l’équipage furent répartis par groupes de deux ou trois sous les huttes des indigènes du voisinage ; mais peu d’entre eux s’accommodaient de ce régime. Habitués à recevoir