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d’imposer la patience à son parti. Au fait, comment exiger de ce parti qu’il se contentât longtemps de la seconde place dans un système dont il devenait de jour en jour, et grâce aux élections nouvelles, la force principale ? Le ministère Richelieu n’existait guère que depuis un an que l’homme qui en représentait le plus fidèlement et le plus habilement la politique, parce qu’elle était chez lui sincère, naturelle et réfléchie, M. Pasquier, était devenu le point de mire de toutes les attaques du royalisme impatient. Il offrit sa retraite comme gage d’union ; elle eût déshonoré ses collègues- sans désarmer ses adversaires. Le moment était venu où le côté droit, au lieu de suivre le pouvoir, devait le guider.

Plus de quarante ans se sont écoulés depuis le jour où ce parti honorable et malheureux s’est vu décidément à la tête des affaires. Tous les ressentimens qu’engendrent, même entre d’honnêtes gens, les luttes de politique sont oubliés. Il ne nous en coûte point de reconnaître que l’administration à laquelle M. de Villèle attacha son nom a été beaucoup meilleure que ses ennemis ne s’y attendaient. Il y a une classe de ministres sensés et utiles qui peuvent manquer de grandeur et d’éclat, et dont Robert Walpole est le type le plus élevé. On disait de son successeur Pelham qu’il était un petit Walpole. M. de Villèle, qui ne songeait guère à les imiter, pourrait être jugé sur ces modèles. Inférieur à Walpole pour le coup d’œil politique et la force de l’esprit, il avait quelque chose de son aptitude aux affaires, de son jugement sain et de son sang-froid, sinon de sa fermeté. Il savait peu, mais il apprenait vite. Plus persévérant qu’énergique, il cédait souvent, mais ne se décourageait pas. Sans doute il a fait des fautes, mais la plupart n’ont pas été volontaires ; il les a subies plutôt qu’il ne les a commises. En somme, aucun parti ne pourrait regretter d’avoir produit un tel ministre, et ce n’est pas lui qui a conduit la monarchie à sa perte. Cependant, quelque justice que nous aimions à rendre à sa valeur personnelle, et quoique sa manière d’administrer pût paraître presque libérale aujourd’hui, l’expérience nous a confirmé dans la conviction qu’il était par situation et par principes condamné à une politique qui ne pouvait vivre. Le légitimisme, qui n’est plus qu’une opinion historique infiniment respectable, devait, comme dogme pratique, engendrer des conséquences fatales à tout gouvernement qui veut respirer l’air du siècle. La France ne peut souffrir l’apparence même de l’ancien régime, et le reste de l’Europe commence à faire comme elle. La domination du côté droit devait en peu de temps rendre à l’opinion libérale une popularité, une vivacité, une hardiesse que la royauté et la dynastie ne pouvaient ni comprendre ni souffrir. Tôt ou tard la rupture devait éclater.