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n’avait été plus remuée par le fer, ni plus trempée de sang. La nature elle-même semblait avoir pris sur ce sol aride un aspect de tristesse que Jérôme remarque, et que les pèlerins trouvaient en harmonie avec l’idée qu’ils apportaient d’une terre maudite. Toutefois il jaillissait de ce sol tant de grands souvenirs sacrés pour toute âme chrétienne, qu’ils communiquaient une vie et une beauté sans pareilles aux ruines des hommes et à la nature inanimée.

Après avoir visité la maison du centurion Corneille, changée en église, et les chambres des trois filles de Philippe, « prophétesses pour prix de leur virginité, » Paula et sa caravane quittèrent Césarée. Ils cheminaient maintenant en pleine terre promise ; c’était les deux Testamens à la main qu’il leur fallait voyager, mais ils connaissaient si bien l’un et l’autre que toute réminiscence d’un fait biblique leur était aussitôt présente. Les champs de Mageddo leur rappelèrent d’abord le trépas de Josias, ce dernier bon roi de la race de David. Ils se le figurèrent au milieu de cette plaine et sur son char de combat essayant d’arrêter le roi d’Égypte Néco dans sa marche vers la Syrie, mais tombant transpercé par un trait que le dieu de Néco avait lui-même dirigé. Les suites désastreuses de cette mort pour le royaume de Juda, la pompe des funérailles royales, la douleur du peuple, les lamentations des filles d’Israël, tout ce récit touchant de la Bible les occupait peut-être encore lorsqu’ils arrivèrent à Joppé.

Joppé, aujourd’hui Jaffa ou Iaffo, était la cité la plus hébraïque qu’ils eussent encore rencontrée, et tout à la fois le port le plus fréquenté de la Palestine et une des plus anciennes villes du monde. La tradition juive en plaçait la fondation avant le déluge, et la mythologie orientale lui accordait une part dans ses fables. C’est là, que Jonas s’était embarquée « pour fuir de devant la face du Seigneur ; » c’est là aussi qu’Andromède, exposée nue sur un rocher, en pâture aux monstres de la mer, avait été délivrée par Persée. On montrait aux curieux, d’un côté du port, la plage où les marchands ciliciens avaient pris à leur bord le malencontreux prophète, et de l’autre un grand écueil à pic où le flot se brisait avec violence : c’était le rocher d’Andromède ; On y pouvait voir encore la trace des chaînes où la captive avait été attachée et la carcasse du monstre envoyé par Neptune pour la dévorer. Le squelette pourtant n’était pas entier, car un général romain, Marcus Scaurus, en avait enlevé jadis et apporté à Rome une partie qui figure parmi les merveilles de son édilité. Ce poisson en effet était miraculeux au dire de Pline, il ne mesurait pas en longueur moins de quarante pieds romains ; ses côtes étaient plus hautes qu’un éléphant indien, et son épine dorsale avait un pied et demi d’épaisseur. Ce qui en restait, après