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Si le gouvernement se montrait disposé à modérer les excès, devenus inutiles, du tarif des douanes, les chambres, où dominait une ! majorité protectioniste, ne voyaient pas sans inquiétude ces tendances libérales, et comme les clauses financières des traités, c’est-à-dire toutes les diminutions de taxes, devaient être soumises au vote législatif, l’œuvre de la diplomatie se trouvait enfermée dans un champ très limité. On accueillait avec empressement les diminutions de droits obtenues des nations contractantes, mais on discutait avec une susceptibilité jalouse les concessions que la France accordait en échange. Si l’on se reporte à ces débats, on s’explique l’extrême timidité des négociateurs français, qui pouvaient craindre de voir désavouer leur signature, s’ils s’avisaient de toucher à une prohibition, et qui par conséquent, ne se sentant pas en mesure de faire de larges concessions, n’osaient demander et ne pouvaient obtenir que des faveurs insignifiantes sur les marchés étrangers. Au surplus, cette situation se rencontrait dans la plupart des autres pays. Sauf l’Angleterre, qui depuis les réformes de Huskisson se laissait entraîner vers la doctrine de la liberté commerciale, les états manufacturiers du continent, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, demeuraient attachés à l’ancien système de la protection industrielle, de telle sorte que chaque négociation diplomatique engagée dans l’intérêt des échanges était paralysée d’avance par un sentiment de défiance réciproque et par la crainte des désaveux législatifs. Utiles au point de vue politique en ce qu’elles étaient un témoignage d’harmonie et de bonne entente entre les gouvernemens, ces conventions multipliées demeuraient le plus souvent stériles au point de vue commercial ; elles n’exerçaient qu’une influence très restreinte sur le bien-être des peuples, et ne contribuaient que pour une faible part au développement du trafic universel.

Redoutés par les adversaires de la concurrence, les traités de commerce et de navigation étaient en même temps repoussés par les économistes. Aux yeux de ces derniers, chaque peuple doit, dans son propre intérêt, faciliter l’échange des produits du travail. Quand il entrave les importations de l’étranger, il se nuit à lui-même autant qu’il nuit aux autres nations : il convient donc qu’il tolère et même qu’il attire la concurrence, sans avoir à se préoccuper de la nature ni de l’origine des produits échangés. Le vice des traités de commerce est de déroger à ce principe général en n’accordant qu’à quelques-uns ce qui pourrait être avantageusement accordé à tous, et de créer, au profit des parties contractantes, un privilège onéreux pour le consommateur. Telle est la doctrine d’Adam Smith, doctrine adoptée en toutes circonstances