Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/19

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fut retrouvée : l’impératrice Hélène s’était chargée de la recherche et s’était fait guider soit par l’évêque de Jérusalem, soit par de savans Juifs qui avaient conservé la tradition de leur patrie. Après cette restauration des lieux sanctifiés par la mort et la résurrection du Christ, Constantin fit construire une immense basilique qui les renferma tous dans une même muraille. Elle devint le centre d’un quartier chrétien qui envahit peu à peu les quartiers environnans, et le signe du Dieu crucifié par les Juifs brilla sur cette troisième Jérusalem, d’où le mont Sion et le temple étaient exclus.

Au moment où Jérôme et Paula la visitèrent, la Jérusalem chrétienne avait atteint son plus haut degré de prospérité et de développement. La libéralité des princes successeurs de Constantin, le concours des pèlerins venus de toutes les parties de la terre, l’affluence des dons envoyés, même des contrées non romaines (car c’était la ville de la chrétienté), y avaient créé une richesse énorme ; mais la licence y marchait de pair avec la richesse. La présence de ce peuple d’étrangers sans cesse renaissant entretenait dans Ælia-Capitolina, moitié chrétienne, moite païenne, une agitation inexprimable. Au sein de cette société mêlée de toutes les classes, de tous les rangs, de toutes les nations, où le barbare coudoyait le Romain, le plébéien le consulaire, où l’homme libre était confondu avec l’esclave, la courtisane avec la matrone, le prêtre orthodoxe avec l’hérétique, il n’y avait ni ordre, ni règle, et sous un semblant de liberté évangélique chacun pouvait impunément braver la loi civile. On eût cru que la Ville sainte s’était faite le repaire des voleurs, des meurtriers, des prostituées de tout l’Orient. Les contemporains sont d’accord pour nous en tracer le plus lamentable tableau, et voici en quels termes s’exprimait un grand évêque qui y séjourna quelque temps, Grégoire de Nazianze : « Bien loin de trouver purgée des mauvaises épines cette terre qui a reçu l’empreinte de la vraie vie, écrivait-il, je la trouve infectée de toutes les impuretés imaginables. Là règnent la malice, l’adultère, le larcin, l’idolâtrie, les empoisonnemens, l’envie et surtout le meurtre. Les hommes s’y entr’égorgent comme des bêtes féroces pour un peu d’argent, et grâce au relâchement de tous les liens sociaux l’homicide s’y commet plus facilement qu’en aucun lieu du monde. » Ce que Grégoire disait de la morale pouvait s’appliquer à la foi, qui n’était pas moins corrompue que les mœurs. L’arianisme y avait implanté ses poisons, la persécution, l’exil, la révolte contre les autorités légitimement constituées, et le schisme y faisait la loi. Un de ses grands évêques, Cyrille, que l’église romaine dénonçait injustement comme un évêque intrus et tyrannique, avait passé sa vie à batailler dans l’enceinte de Jérusalem et au dehors contre des concurrens appuyés ou suscités par l’hérésie, et n’avait rendu la paix à son malheureux troupeau qu’à force de