Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/219

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

homme qui était particulièrement agréable à cette cour. M. Cacault, chargé d’aller reprendre auprès du gouvernement pontifical son ancienne position de ministre de France, était, comme l’abbé Bernier, moitié Breton, moitié Vendéen ; mais là cessait toute la ressemblance. Autrefois employé au ministère des affaires étrangères sous la vieille monarchie, M. Cacault, quoique rallié aux idées du temps, avait conservé toutes les traditions du métier. Volontiers il s’appelait lui-même un révolutionnaire corrigé. Lorsqu’il avait pris congé du premier consul, celui-ci lui avait dit pour dernière instruction : « N’oubliez pas de traiter le pape comme s’il avait deux cent mille hommes à ses ordres. » M. Cacault commentait de son mieux dans des conversations à Rome ces paroles du chef nouveau de la France. Plein de vénération pour Pie VII et d’amitié pour Consalvi, dont il avait vite subi le charme, il s’appliquait à les rassurer tous deux, à leur donner confiance, à leur expliquer l’état des choses à Paris, la disposition des esprits français, et surtout le caractère extraordinaire de celui avec lequel ils avaient à traiter. Non moins conciliant et non moins habile avec son propre gouvernement, il s’efforçait par ses dépêches de faire comprendre et de rendre acceptables à l’impétueux premier consul les allures lentes, les procédés timides, les scrupules infinis de la cour romaine. Rien de plus curieux, pour qui a, comme nous, les pièces sous les yeux, que de constater cette singulière interversion des rôles. C’est l’ancien curé royaliste, c’est l’abbé Bernier, qui d’ordinaire dénonce au général Bonaparte, en termes peu mesurés et parfois insultans, les retards de l’église romaine et les prétextes dont elle se couvre pour ne pas lui donner une satisfaction immédiate ; c’est lui qui accepte la mission de signifier rudement au cardinal Consalvi que tout délai lui sera personnellement imputé, qu’on l’envisagera comme une rupture, et que la conséquence en sera l’occupation immédiate des états romains. Vis-à-vis du premier consul, il ne procède que par protestations de dévouement et d’absolue obéissance. Jamais la moindre observation, nul effort pour adoucir ses exigences ; l’immolation est complète. « Quand vous serez satisfait, nous le serons tous, » écrit-il à son impérieux correspondant[1]. C’est au contraire M. Cacault, c’est l’ancien signataire du traité de Tolentino qui lui prêche la modération et la patience.

Malheureusement les conseils de Bernier étaient les plus conformes à la nature irritable du premier consul. Ennuyé de se laisser malgré lui entraîner dans ce qu’il appelait de misérables querelles de dogmes, Bonaparte signifia tout à coup à M. Cacault l’ordre de

  1. Lettres de l’abbé Bernier au général Bonaparte, 24-30 floréal, 30 prairial an IX.