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en lui faisant une scène publique, tout concourait dans ce moment à agiter violemment le premier consul. Ce fut donc le visage enflammé et du ton le plus élevé et le plus dédaigneux qu’apercevant Consalvi : « Eh bien ! monsieur le cardinal, vous avez voulu rompre ! Soit. Je n’ai pas besoin de Rome. Je n’ai pas besoin du pape. Si Henri VIII, qui n’avait pas la vingtième partie de ma puissance, a su changer la religion de son pays, bien plus le saurais-je faire et le pourrais-je, moi ! En changeant la religion, je la changerai dans presque toute l’Europe, partout où s’étend l’influence de mon pouvoir. Rome s’apercevra des pertes qu’elle aura faites. Elle les pleurera, mais il n’y aura plus de remède. Vous pouvez partir : c’est ce qu’il vous reste de mieux à faire. Vous avez voulu rompre,… eh bien ! soit, puisque vous l’avez voulu. Quand partez-vous ?… — Après dîner, général, » répliqua Consalvi d’un ton calme.

Ce peu de mots fit faire un soubresaut au premier consul. Il regarda fixement son interlocuteur, qui, profitant de son étonnement, essaya doucement d’expliquer qu’il n’était pas libre ni d’outrepasser ses pouvoirs ni de transiger sur des points contraires aux maximes que professait le saint-siège. Mettant le doigt sur la véritable difficulté, celle qui avec Bonaparte, depuis le commencement de sa carrière jusqu’à la fin, ne cessa jamais d’être dans les matières religieuses l’obstacle invincible, il essaya d’expliquer à cet homme qui non-seulement embrassait dans sa compréhension, mais devinait toutes choses, il essaya, dis-je, de lui faire admettre qu’il y avait telle chose que la conscience, et que dans les affaires ecclésiastiques on ne pouvait pourtant pas faire ce qu’on faisait dans les affaires temporelles en certains cas extrêmes. — Et puis, ajouta-t-il doucement, il n’était pas juste de prétendre qu’il eût cherché à rompre du côté du pape, puisqu’on s’était mis d’accord sur tous les articles à la réserve d’un seul. Pour celui-là, il avait demandé qu’on consultât le saint-père, et ses propres commissaires à lui n’avaient pas rejeté cette proposition. Nous ne savons rien de l’effet produit par cette douce réponse de Consalvi sur le groupe de curieux qui environnait les deux interlocuteurs. Sur Bonaparte lui-même, elle n’en produisit ou du moins parut n’en produire aucun. « Ce n’était pas sa manière de laisser rien d’imparfait. Il lui fallait le tout, ou rien. » Consalvi de répéter qu’il n’avait pas de pouvoirs pour accorder cet article. Bonaparte reprit très vivement qu’il l’exigeait tel quel, sans une syllabe ni de moins ni de plus. « En ce cas, je ne le signerai jamais. — C’est bien pour cela que je vous dis que vous avez cherché à rompre, et que je considère l’affaire comme rompue. Rome s’en apercevra, et versera des larmes de sang sur cette rupture. » Telle fut la fin de la conversation.