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et non pas αὐτήν (elle citait en grec), c’est-à-dire Jésus et non sa mère, car il y a en hébreu zo qui est bien le signe du masculin, comme vous me l’avez enseigné ; vous voyez que je n’ai pas publié vos leçons[1] » Ainsi la science chez ces admirables pèlerins avait droit de se mêler aux élans de la dévotion la plus enthousiaste.

Les amis de Paula eurent peine à l’arracher de ces lieux où un secret pressentiment semblait l’enchaîner. On eût dit que sa destinée se dessinait tout entière à sa vue, quand on l’entendit s’écrier avec un accent prophétique ; « Quoi ! misérable pécheresse que je suis, j’ai été jugée digne de baiser la crèche où mon Seigneur a poussé son premier cri ! J’ai été jugée digne de prier dans cette caverne où une Vierge-mère a enfanté mon Dieu ! J’établirai ici ma demeure, parce que mon Sauveur y a placé la sienne, et la patrie de mon Dieu sera aussi le lieu de mon repos ! » La noble étrangère, venue des collines du Tibre, ne croyait pas si bien dire : le repos, éternel devait commencer pour elle à Bethléem et y peser long temps sur ses os.

L’impatience les aiguillonnait cependant ; ils partirent, et traversant l’endroit appelé la tour d’Ader, où furent les pâturages de Jacob, et où les bergers veillant dans la nuit de la Nativité entendirent l’hymne de réconciliation entre le ciel et la terre, ils gagnèrent l’ancienne route qui menait à Gaza. Bethsora leur fournit une station près de la fontaine où l’eunuque de la reine Candace, Juif prosélyte, converti au christianisme par Philippe, avait « changé de peau spirituelle, » comme disait Jérôme. Ce lieu était d’une rare beauté. La source sortie d’un roc tombait d’abord dans un bassin large et profond où Philippe et l’eunuque avaient pu descendre tous deux pour le baptême par immersion ; elle s’en échappait ensuite par nappes pour aller se perdre dans les fissures des rochers voisins. L’ancien pays des Philistins, avec Gaza, sa capitale, leur offrait des monumens des guerres hébraïques et du fort Samson, le héros traditionnel de la contrée : ils visitèrent les plus curieux, puis, se détournant à l’est, ils suivirent le vallon de la grappe, Escole, dont ils admirèrent en passant les vignobles. C’est là que les explorateurs envoyés par Moïse dans la terre promise cueillirent ce cep et cette grappe fameuse que deux hommes eurent peine à porter sur leurs épaules en les suspendant à un bâton, Des raisins aussi mira-

  1. « Zo enim sermo hæbraïcus, ut te docente didici, non Mariam matrem Domini, hoc est αύτήν, sed ipsum, id est αύτόν significat. » Hier. ep. 86. Epitaph. Paul. — Ce passage est très altéré dans les manuscrits de saint Jérôme. J’ai admis le texte, suivi par les Bénédictins et l’interprétation qu’ils donnent aux paroles de Paula. La distinction qu’elle établit roule sur le pronom démonstratif zo, su, zoth ; il paraît qu’il y avait déjà controverse parmi les commentateurs des psaumes sur l’explication du verset : Paula suit l’opinion de son maître.