Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 57.djvu/268

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devant des menaces ? Non, le canon de Novare ne les avait pas atteintes ; et ce petit peuple courageux et militaire, pour les avoir à son tour écrites avec son sang, ne les en aimait pas moins. D’ailleurs, les abandonner, ce n’eût pas été seulement s’assujettir à l’Autriche comme les autres princes d’Italie, c’eût été éteindre dans la péninsule le seul foyer qui restât à la liberté régulière pour en livrer le flambeau à Mazzini, qui en eût fait une torche incendiaire. Après avoir si laborieusement et à si grands frais essayé de désarmer la révolution par la réforme, on eût de nouveau, en étouffant la réforme, armé la révolution. Le Piémont persista donc dans ses principes. Il était bien faible en présence de l’Autriche ; mais précisément il se fiait à ses principes mêmes comme étant puisés dans le courant des choses, il comptait sur les raisons d’équilibre qui nous forceraient à le défendre et sur l’impression qu’il produirait en Europe par sa persévérance et par son audace. Si, à mesure que les dix ans de trêve approchaient de leur terme, il parut devenir provocateur, s’il donna l’alarme au sein même du congrès de Paris, si, pendant que l’Autriche fortifiait Plaisance, qui n’était pas à elle, il se mit à fortifier Alexandrie, qui était bien à lui, s’il transféra la marine militaire à La Spezzia, si enfin au dernier moment « il donnait à l’Autriche les apparences d’une agression qu’il avait su rendre inévitable, » ces provocations n’étaient après tout que des précautions ; c’était la situation elle-même qui véritablement provoquait et rendait le choc inévitable.

C’est là de l’histoire bien récente ; mais c’est celle qu’on oublie le plus vite, et il n’en est que plus nécessaire de la ramener souvent sous nos yeux dans son entier et avec tous ses élémens. Il n’y a donc pas ici en présence quelques hommes seulement, avec leurs ambitions et leurs conceptions individuelles ; il y a deux systèmes, deux grands ensembles de choses ; qui se pressent en sens contraire, et qui se rattachent chacun de son côté au mouvement de l’histoire générale. Il y a une question déjà séculaire de nationalité : l’Autriche et l’Italie ne peuvent plus tenir sur le même sol. Cette première question s’enveloppe dans une autre, celle des deux régimes sociaux et politiques : l’ancien résiste, et le nouveau perce à travers pour se faire sa place dans le monde. Enfin cette dernière question à son tour est comprise dans une troisième bien plus vaste, qui exprime la crise religieuse dont l’esprit humain se tourmente et dont ce siècle cherche la solution. La question italienne, la question libérale et la question romaine formaient donc un tout étroitement enchaîné ; la guerre d’Italie n’a fait qu’y imprimer un choc qui aurait pu venir d’ailleurs : elle a eu pour objet, autant que cela était encore possible, d’arracher la révolution aux révolutionnaires ; mais la révolution était là depuis longtemps. Sans doute l’intérêt français au point de vue de l’équilibre, et même l’intérêt italien au point de vue national, auraient pu se contenter d’une libération jusqu’à l’Adriatique ; mais alors même les deux autres questions auraient-elles