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qu’au besoin, de ne cueillir que des fruits mûrs. Quoique sceptique et parlant volontiers du clergé avec une nuance voltairienne, il ne voulait pas de l’incamération des biens ecclésiastiques. La pensée de « l’église libre dans l’état libre, » qui avait toujours, depuis 1868, reposé au fond de ses opinions, ne sortit de cette incubation qu’à la fin de sa carrière ; celle de Rome capitale ne lui est venue que par le développement de la situation. Plus conservateur et plus attentif que ses successeurs aux traditions et aux habitudes italiennes, il voulait que l’enseignement fût libre, abandonné au zèle spontané et à l’émulation des provinces, des villes, des corporations, des églises. La centralisation administrative lui paraissait incompatible avec la diversité du génie italien, et il adoptait le système des régions de MM. Farini et Minghetti, laissant aux communes le soin de gérer leurs biens et d’élire leurs magistrats sous la seule surveillance d’un conseil de province. Tel était, sans idées neuves, sans forte initiative, mais avec un esprit constamment appliqué au réel comme point de départ du, possible, cet homme d’état éminemment pratique, qui a communiqué une si forte impulsion aux affaires de son pays, mais qui n’a commandé le mouvement qu’en obéissant à la pente.

Un jour l’histoire, jugeant à distance, fera mieux que nous ne le pouvons aujourd’hui les justes parts entre les hommes et les choses. Elle ne négligera certes point l’appréciation morale des faits qui procèdent de la volonté de l’homme ; elle saura condamner les actes coupables, les infractions au droit, les violences, et tout ce que les passions exaltées apportent de scandales et de folies sur la scène des révolutions ; mais elle ne confondra point ce drame humain, éternellement le même, avec le fond fatal des événemens : elle distinguera des accidens passagers et des aberrations individuelles ce qui appartient à l’irrésistible impulsion des causes générales et historiques. Alors les idées hostiles à la révolution italienne changeront, comme ont déjà changé chez nous les idées hostiles à la révolution française. Il y a quarante ans à peine, nos royalistes voyaient-ils 89 autrement qu’à travers 93 ? Mais aujourd’hui que le temps a effacé les détails en éloignant la perspective, et que les grandes masses, les résultats fondamentaux se dessinent à leurs yeux, leurs fils ne jurent plus que par les principes de 89. L’Italie obtiendra de l’histoire une justification pareille, mais elle aura versé moins de sang, elle aura fait moins de ruines que nous ; elle aura montré des qualités politiques que nous pourrions déjà lui envier peut-être, et qui devraient tout au moins inquiéter notre amour-propre et stimuler notre émulation.


LOUIS BINAUT.