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douanes et de l’enregistrement ; il fallait six semaines aux Hambourgeois pour les comprendre et les bien faire, trois jours aux Romains. Les sculpteurs prétendent que, déshabillés, ils ont la chair saine et ferme, à l’antique, tandis qu’au-delà des monts, les muscles sont flasques et laids. En vérité, on finit par croire que ces gens-là sont les anciens Romains de Papirius Cursor ou les citoyens des redoutables républiques du moyen âge, les mieux doués des hommes, les plus capables d’inventer et d’agir, maintenant tombés sous le froc, la livrée ou la guenille, employant de grandes facultés à psalmodier des litanies, à intriguer, mendier et se gâter.

Au milieu du marais, on voit encore jaillir l’eau vive : quand ils s’épanchent, leur expansion est admirable ; parmi les mœurs galantes ou grossières, la nature vierge qui a fourni des expressions divines aux grands peintres éclate en enthousiasmes et en ravissemens. Un de nos amis, médecin allemand, a pour servante une belle fille amoureuse d’un certain Francesco, ouvrier au chemin de fer à quatre pauls par jour. Il n’a rien, elle non plus ; ils ne peuvent s’épouser, il leur faudrait cent écus pour entrer en ménage. C’est un mauvais drôle, il n’est pas beau, et n’a pour elle qu’un goût médiocre ; mais elle l’a connu dès l’enfance, elle l’aime depuis huit ans : quand elle reste trois jours sans le voir, elle ne mange plus ; le docteur est obligé de lui retenir ses gages, elle donnerait tout son argent. Du reste elle est aussi sage que probe, et, forte de la beauté de son sentiment, elle parle librement de son amour. Je la questionnai sur ce Francesco. Elle sourit, rougit imperceptiblement, sa figure s’illumine, elle semble être dans le ciel ; on ne peut rien voir de plus charmant et de plus gracieux que ce spirituel visage italien éclairé par un sentiment si abandonné, si puissant et si pur. Elle a son beau costume romain, et sa tête est encadrée par son couvre-tête rouge des dimanches. Que de ressources, quelle finesse, quelle force et quel élan dans une pareille âme ! Quel contraste, si l’on songe aux figures ahuries de nos paysannes ou aux minois délurés de nos grisettes !

Ici je touche le point délicat, et nous voulons le toucher, car nous ne sommes pas des orateurs décidés d’avance à trouver des argumens politiques, mais des naturalistes libres de préoccupation et d’engagement, occupés à observer les bâtimens et les sentimens des hommes comme nous ferions des instincts, des constructions et des mœurs des abeilles ou des fourmis. — Sont-ils Italiens ou papalins ? — Selon mes amis, toute réponse précise est difficile ; ces gens-ci sont trop ignorans, trop collés au sol, trop enfoncés dans leurs haines et dans leurs intérêts de village pour répondre à de telles questions. Néanmoins on peut supposer qu’ils sont gouvernés en ceci, comme dans les autres choses, par leur imagination et leurs