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Pareillement tous ces princes, abbés, particuliers, qui font décorer leur maison ou leur église, cherchent une occupation pour leurs yeux ; ils lisent bien les contes de Bandello ou les descriptions de Marini, mais en somme la littérature alors ne fait qu’illustrer la peinture. Aujourd’hui c’est l’inverse.

Nous sommes montés sur les hauteurs de l’ancien Tusculum ; on y voit les restes d’une villa qui fut, dit-on, celle de Cicéron, restes informes, amas de briques disjointes, soubassemens mal déterrés, qui vont s’effondrant sous les intempéries de l’hiver et l’envahissement des herbes. Parfois, à mesure que l’on avance, les parois d’une chambre antique apparaissent sur le bord de la route, dans les flancs d’un escarpement. Au sommet est un petit théâtre où gisent des fragmens de colonnes. Cette montagne dévastée, peuplée par places de genêts et d’arbrisseaux épineux, le plus souvent nue, où des rocs cassés crèvent la maigre enveloppe de terre, est elle-même une grande ruine. L’homme a été là, il a disparu ; c’est l’aspect d’un cimetière. Au sommet est une croix sur un tas de moellons noircis ; le vent souffle et chante une psalmodie lugubre. Les montagnes du midi, toutes rousses d’arbres qui ne verdissent pas encore, le promontoire morne du Mont-Cavi, la file des hauteurs désolées sous leur chevelure ébouriffée d’herbes jaunâtres, tout en bas la campagne romaine, fauve sous son linceul de nuages déchirés, semblent un champ mortuaire.

Dans les forêts arrosées qu’on traverse à la descente fleurissent des anémones blanches et violettes, des pervenches d’un azur tendre et charmant. Un peu plus loin, l’abbaye de Grotta-Ferrata, avec ses créneaux du moyen âge, avec ses vieilles arcades de colonnes élégantes, avec ses fresques sobres et sérieuses du Dominiquin, retire un peu l’esprit de ces rêves funèbres. Au retour, à Frascati, le bruit des eaux courantes, les têtes fleuries des amandiers et des aubépines dans le creux vert de la montagne, l’éclat des jeunes blés qui lèvent, réjouissent le cœur par une apparence de printemps. Le ciel s’est épuré, le délicieux azur s’est montré, parsemé de petits nuages blancs qui planent comme des colombes ; tout le long du chemin, les arcs ronds des aqueducs se développent noblement dans la lumière. Et pourtant, même sous ce soleil, toutes ces ruines font mal ; elles témoignent de tant de misères ! Quelquefois c’est un massif rongé par le pied, une voûte branlante ; ailleurs c’est un arc isolé, un morceau de mur, trois pierres enterrées qui affleurent : on dirait les restes d’un pont emporté par une inondation, ou ce qui subsiste d’une ville écroulée dans un incendie.