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de la civilisation et de la science, indéfiniment élargi et épuré, peut devenir par excellence la religion philosophique, libérale et morale, et gagner, même dans les pays latins, cette classe supérieure qui, sous Voltaire et Rousseau, avait adopté le déisme. Si le combat se livre, il sera digne d’attention, car entre une philosophie et une religion il ne pouvait aboutir, chacune des deux plantes ayant sa racine indépendante et indestructible ; entre deux religions, ce serait autre chose. Si le catholicisme résiste à cette attaque, il me semble qu’il sera désormais à l’abri de toutes les autres. Toujours la difficulté de gouverner les démocraties lui fournira des partisans, toujours la sourde anxiété des cœurs tristes ou tendres lui amènera des recrues, toujours l’antiquité de la possession lui conservera des fidèles. Ce sont là ses trois racines, et la science expérimentale ne les atteint pas, car elles sont composées non de science, mais de sentimens et de besoins. Elles peuvent être plus ou moins ramifiées, plus ou moins profondes ; mais il ne semble pas que l’esprit moderne ait prise sur elles : au contraire, en beaucoup d’âmes et en certains pays, l’esprit moderne introduit des émotions et des institutions qui par contre-coup les consolident, et un jour Macaulay a pu dire, dans un accès d’imagination et d’éloquence, que le catholicisme subsistera encore, dans l’Amérique du Sud par exemple, lorsque des touristes partis de l’Australie viendront, sur les ruines de Paris ou de Londres, dessiner les arches démantelées de London-Bridge ou les murs écroulés du Panthéon.

28 mars. — La campagne.

Nous partons à huit heures du matin pour Albano, et nous sortons par la place San-Giovanni. C’est la plus belle de Rome, et je te l’ai décrite ; mais je la trouve encore plus belle que la dernière fois. Lorsqu’au-delà de la porte on se retourne, on a devant soi cette façade de Saint-Jean-de-Latran, qui au premier coup d’œil semble emphatique ; à cette heure matinale, dans le grand silence, au milieu de tant de ruines et de choses champêtres, elle ne l’est plus : on la trouve aussi riche qu’imposante, et le soleil verse sur ces hautes colonnes pressées, sur cette assemblée de statues, sur ces solides murs dorés, la magnificence d’une fête et l’éclat d’un triomphe.

Les haies verdissent, les ormes bourgeonnent ; de loin en loin, un pêcher, un abricotier rose luit aussi charmant qu’une robe de bal. La grande coupole du ciel est toute lumineuse. L’aqueduc de Sixte-Quint, puis l’aqueduc ruiné de Claude, allongent à gauche dans la plaine leur file d’arcades, et leurs courbes s’arrondissent avec une netteté extraordinaire dans l’air transparent. Trois plans font tout ce paysage : la plaine verte, chaudement éclairée par