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l’honneur de l’empereur Vespasien. Située dans une étroite vallée entre le Mont-Hébal et le Mont-Garizim, Sichem était devenue, lors de là séparation des dix tribus, la Jérusalem du schisme, et le temple bâti par les rois d’Israël sur la seconde de ces montagnes restait encore, pour ce qu’il y avait de Samaritains au IVe siècle, aussi sacré que le temple de Salomon pour les Juifs fidèles. La même destinée avait frappé d’ailleurs les deux temples rivaux : celui de Garizim n’était plus aussi qu’une ruine où l’on montait par trois cents degrés taillés dans le roc. Il n’eut point la visite de Jérôme et de ses amis, qui se contentèrent de l’observer de loin, soit scrupule religieux, soit désir d’arriver plus vite à Samarie.

Un spectacle curieux et tout nouveau les attendait dans cette capitale des rois d’Israël, dédiée à l’empereur Auguste sous le nom de Sébaste et ornée des plus splendides monumens d’Hérode. Ces magnificences étaient encore debout, au moins en partie ; mais ce n’était pas ce qui piquait la curiosité ou excitait l’admiration du pèlerin chrétien. Samarie était, à proprement parler, la ville de saint Jean-Baptiste, dont elle possédait le tombeau. Par un bizarre retour de choses de ce monde, l’homme qu’Hérode avait tué comme un censeur incommode de ses cruautés et de ses débauches régnait maintenant, comme un dieu plutôt que comme un roi, dans sa ville de prédilection, et éternisait le souvenir de ses crimes. Le tombeau de Jean-Baptiste avait la vertu de chasser les démons et de guérir les possédés : nul n’eût osé mettre en doute cette vertu surnaturelle sans être traité de blasphémateur et d’incrédule. Aussi voyait-on les possédés, ou ceux qu’on croyait tels, accourir ou être amenés de toutes les parties de la Judée à Samarie pour y trouver leur guérison. Lorsqu’arrivèrent nos voyageurs, un grand nombre de ces malheureux se trouvaient réunis autour du sépulcre, attendant le moment de paraître devant le saint et d’invoquer sa puissance. Il se passait là des choses capables de glacer de terreur les plus fortes âmes. On n’entendait que gémissemens et soupirs, cris inarticulés et sauvages ; on ne voyait que contorsions et grincemens de dents, signes auxquels le démon était censé manifester dans le corps de ses victimes ses propres tortures et sa fureur. « Quelle ne fut pas la surprise de Paula, nous dit Jérôme, quelle ne fut pas son épouvante, lorsque retentirent les rugissemens de l’esprit des ténèbres, et qu’elle entendit des hommes hurler comme des loups, aboyer comme des chiens, frémir comme des lions, siffler comme des serpent, mugir comme des taureaux ! Les uns faisaient pirouetter leurs têtes avec la volubilité d’une roue ; d’autres la courbaient en arrière jusqu’à ce que leurs cheveux balayassent la poussière du sol. Des femmes restaient suspendues en l’air par un pied, les vêtemens rabattus sur le visage. L’aspect de ces affreuses misères émut à ce