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à des discussions irritantes ou à des solutions complexes ; à Lyon, ils entretiennent depuis des siècles un antagonisme qui a souvent dégénéré en guerre civile. La situation particulière des ouvriers en soie a permis à leurs revendications de se produire avec une autorité que leurs égaux ne possèdent nulle part ailleurs. On sait que les instrumens de travail leur appartiennent, et qu’ils travaillent en famille dans un atelier qui occupe à la fois, avec un compagnon et des apprentis étrangers, le père, la mère, les enfans eux-mêmes. La possession des instrumens de travail, parmi lesquels on compte quelquefois de deux à six métiers, constitue réellement un patrimoine important. On évalue à 3 millions de francs les ustensiles réformés ou qui attendent un emploi nouveau et dorment dans les greniers ; quelle doit être la valeur des ustensiles employés ! Cette quasi-indépendance de l’ouvrier lyonnais, l’exercice constant de son pouvoir comme chef de famille en même temps que comme chef d’atelier, lui rendent donc plus pénible la domination que les fabricans ou les négocians prétendent exercer à l’occasion du règlement des prix de la main-d’œuvre. Dans la fabrication de ces étoffes qui répandent dans toutes les parties du monde civilisé le témoignage de leur habileté, les ouvriers se disent qu’ils sont les véritables associés du fabricant, puisque contre la matière et le dessin que celui-ci leur apporte ils fournissent une part de capital, leurs métiers, leurs outils, et que le travail manuel lui-même est rehaussé chez eux par l’intelligente adresse de l’exécution. Ils ont donc, à toutes les époques, cherché à soustraire la fixation du prix de la main-d’œuvre aux alternatives capricieuses de l’abondance ou de la rareté des commandes, et ils ont toujours réclamé l’application d’un tarif fixe protecteur de leurs intérêts et de leur dignité. Avant la révolution de 1789, cette querelle avait déjà donné lieu à plusieurs émeutes ou rebeynes, dont la plus redoutable est connue sous le nom de révolte des 2 sous. En 1831 comme dans la lutte de 1834, aucune idée politique n’arma les ouvriers ; ce qu’ils voulaient, c’était un nouveau tarif : ils en obtinrent un qui dura peu. Après 1848, tout d’abord même succès, plus prolongé en raison de l’abondance des commandes, mais à la première décroissance des affaires le tarif fut abandonné, et les variations de l’offre et de la demande entraînèrent celles des prix de la main-d’œuvre. Pour être apaisée aujourd’hui, la querelle n’est pas éteinte ; forts de leur honnêteté, de leur habileté, les ouvriers lyonnais cherchent dans d’autres combinaisons, dans l’établissement par exemple de sociétés coopératives, ce qu’ils appellent leur affranchissement. Quoi qu’il arrive de cette direction nouvelle des esprits, on comprend que l’attention publique s’arrête sur une industrie qui occupe 140,000 per-