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compromis cependant était l’expression première et en quelque sorte l’acte de naissance d’une révolution.

À ces insurgens des Pays-Bas il manquait aussi un nom, — un nom original et populaire fait pour frapper les masses. Ce nom leur vint d’un sarcasme lancé par une bouche ennemie. Lorsque les confédérés se présentèrent à la régente avec leur pétition, remplissant les salles du palais de leur jeunesse, de leur fierté et de leurs magnifiques costumes, Berlaymont, un des seigneurs flamands aveuglément fidèles au parti du roi, s’écria avec colère devant la duchesse : « Eh ! comment, madame, votre altesse a-t-elle crainte de ces gueux ?… Par Dieu vivant ! qui croirait mon conseil, leur requête serait apostillée à belles bastonnades, et nous les verrions descendre les degrés de la cour plus vitement qu’ils ne les ont montés. » Le soir même, les confédérés, se promenant dans la ville, passèrent sous le balcon de la maison de Berlaymont, et celui-ci, qui était avec le comte d’Aremberg, répéta encore : « Voilà nos beaux gueux ! Regardez, je vous prie, avec quelle bravade ils passent devant nous. » Trois jours après, dans un banquet organisé pour couronner cette belle campagne, Brederode, qui n’était « ni chancelier ni bachelier, » qui savait mieux boire que réfléchir, mais qui avait un certain instinct d’agitateur, Brederode se leva tout à coup et dit d’un l’on joyeux : « On nous appelle des gueux ! Eh bien ! soit ; nous combattrons l’inquisition, mais nous resterons fidèles au roi, nous fallût-il porter une besace de gueux. » Puis, se faisant apporter par un de ses pages un sac de mendiant et une écuelle de bois, il passa le sac autour de son cou, rempit l’écuelle de vin, et, la vidant d’un trait, il s’écria : « Vivent les gueux ! » Parmi les convives, éclatant en frénétiques acclamations, chacun voulut en faire autant et boire dans l’écuelle de bois en poussant le même cri. On avait jeté une injure à cette jeunesse, elle la ramassait pour s’en parer. Les insurgens avaient un nom avant de prendre les armes, et ce nom allait retentir pendant des années dans les massacres, dans les combats sanglans, sur mer et sur terre, en devenant le mot d’ordre d’une des premières guerres modernes de nationalité.

Représentez-vous la situation des Pays-Bas à ce moment où, par un étrange contraste, les confédérés faisaient leur entrée dans ce même palais de Bruxelles, dans ces mêmes salles où quelques-uns des acteurs pouvaient se souvenir d’avoir vu la scène de l’abdication de Charles-Quint. Depuis dix ans, le gouvernement de Philippe II, fixe dans sa pensée, travaillait avec la logique de l’absolutisme à refondre ces provinces, à déraciner tout sentiment de liberté morale et d’indépendance politique par toutes ces mesures