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les Pays-Bas depuis les premiers temps de son règne ; il avait toujours amusé la duchesse de Parme et Granvelle de la promesse d’un retour ; il laissait le duc d’Albe annoncer sa prochaine arrivée ; il parlait de son voyage au pape lui-même. En réalité, il ne songeait guère à revenir dans les provinces. Ce n’était pas un prince à parcourir l’Europe comme son père et à livrer des batailles ; ses batailles, il les livrait par la diplomatie, laissant à ses lieutenans le soin de livrer les autres. C’était au fond un roi sédentaire, morose, soupçonneux, lent à se résoudre, plein d’hésitations et de contradictions qui compliquaient tous ses desseins. Il avait la passion des minuties, il se perdait dans les détails. Il écoutait tout, ne disait rien ou répondait d’une manière évasive. Il passait huit ou neuf heures par jour à surcharger les dépêches qu’il recevait de notes confuses, embrouillées, quand elles n’étaient pas puériles, ou à écrire lui-même d’interminables lettres dans un style prolixe, souvent calculé et habilement nuageux. C’était un homme à protocoles et à formules ; mais à travers tout il nourrissait depuis le premier jour à l’égard des Pays-Bas la pensée dont le duc d’Albe était le sinistre messager. Il disait, comme son farouche lieutenant, qu’il valait mieux régner dans un pays désert que dans une contrée où vivrait un hérétique. Il écrivait avec un fanatisme sombre et résolu : « Nous ne sommes plus que bien peu en ce monde qui ayons souci de la religion… Mieux vaut tout perdre, s’il le faut, que de ne pas faire notre devoir, car en somme il faut que chacun fasse son devoir… » Il avait de son pouvoir une telle idée qu’il considérait toutes ces libertés flamandes, derrière lesquelles s’abritait l’hérésie, comme une peste. Il avait une aversion profonde pour tous ces seigneurs qui allaient sans cesse se plaindre à Madrid, et il n’attendait que l’heure de les frapper. Seulement, en suivant cette politique, il la pratiquait avec sa duplicité habituelle. Il rusait avec ses propres agens. Il trompait Granvelle en le laissant tomber et en se servant, encore de lui. Le duc d’Albe lui-même ne savait jamais son dernier mot. Il se plaisait aux mystères, tendant souvent des pièges à ceux qui l’entouraient ou qui le représentaient au loin. Il n’était pas moins l’âme de la grande exécution des Pays-Bas, et tandis que son lieutenant marchait à découvert dans les provinces, il mettait, lui, la main à l’œuvre avec la force d’un stratégiste occupé à tromper les contemporains et l’histoire elle-même.

Au moment de l’éclat des Pays-Bas, Montigny et Berghen étaient à Madrid. Berghen mourut bientôt. Il restait Montigny, qui avait quitté sa jeune femme pour se rendre auprès du roi, et qui ne demandait qu’à repartir. Philippe n’était pas homme à le laisser