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monastères qui garnissaient ses flancs et son pied, et l’ancien bourg de Nitrie, habité par une population indigène. Cet ensemble formait ce qu’on appelait la Ville-des-Saints. Les cinquante monastères étaient tous sous la même règle cénobitique et sous le gouvernement du même abbé. Ils dépendaient en outre de l’évêque d’Hermopolis-la-Petite, ville riveraine du Nil, à l’orient des collines libyques. On trouvait, soit dans le bourg de Nitrie, soit dans un endroit de la cité monastique, comme je le dirai plus loin, des boulangers, des bouchers, des pâtissiers, des marchands de vin, des médecins, en un mot tout ce qui était nécessaire soit aux étrangers en passage ou à demeure, soit aux cénobites malades.

À douze milles environ de ce chef-lieu, plus au midi, et dans les nombreuses fissures de la chaîne libyque non moins que dans la vallée, s’étendait le quartier des Cellules : c’est ainsi qu’on nommait plus particulièrement les retraites des anachorètes. Là régnait la vie solitaire dans son isolement le plus farouche. Les cavernes naturelles, les cabanes de feuilles, les huttes souterraines qu’habitaient ces ermites étaient disposées de manière qu’ils ne pussent ni s’entendre ni même s’apercevoir les uns les autres ; ils ne se recherchaient qu’en certaines circonstances et pour s’assister. Les Cellules dépendaient de la Ville-des-Saints, et n’avaient pas d’autre église que la sienne. Enfin, à un jour et une nuit de marche, et probablement sur l’aride terrasse qui séparait la vallée de Nitrie de celle du Fleuve-sans-Eau, s’élevait un monastère en comparaison duquel les couvens de Nitrie étaient presque un Éden : c’était le monastère de Sceté, dont la seule vue faisait peser sur l’âme une tristesse mortelle. Il n’admettait que des vocations en quelque sorte désespérées. C’est de lui surtout qu’on pouvait dire ce mot d’un religieux de Nitrie à Mélanie, qui dépassait le seuil d’un des couvens : « Arrêtez ; madame, on entre ici, on n’en sort pas ! »

L’hospitalité exercée dans la Ville-des-Saints ne manquait pas d’une certaine grâce à l’égard des visiteurs, et quand on savait que les arrivans étaient des gens de distinction ou des moines appartenant à d’autres pays, l’accueil redoublait d’empressement. Rufin nous dépeint dans les termes suivans celui que reçurent Mélanie et lui, quand ils se présentèrent sur la montagne : « Aussitôt qu’on nous vit approcher, dit-il, et que ces saints reconnurent que nous étions des frères étrangers, ils s’élancèrent soudain au-devant de nous, comme un essaim d’abeilles. » C’étaient des religieux non reclus chargés du service extérieur, car les autres se tenaient enfermés dans des enceintes murées, gardées aussi soigneusement que des places de guerre. « Ces frères, continue Rufin, laissèrent paraître une vive gaîté et un grand plaisir à nous recevoir. Les uns apportaient des pains, d’autres des peaux de bouc remplies d’eau (car