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accepter toutes les extrémités de la lutte plutôt que de se soumettre jusqu’au bout à une tyrannie sanglante, qui avait en quelque sorte mis sous les armes l’esprit national. Guillaume d’Orange, de son côté, n’était intervenu en apparence que par deux tentatives inutiles ; il avait levé un drapeau qui n’avait pas été suivi et qui s’était tristement replié devant l’armée espagnole. Au fond, il avait la main dans tout. Absent des provinces, menant la vie d’exilé, portant son activité errante un peu partout, en Allemagne et en France, il ne détachait pas son regard des Pays-Bas. Tout se faisait par ses conseils et sous sa direction. Il avait des agens dans toutes les villes. C’est lui qui entretenait ce feu sourd si lent à éclater en réveillant le sentiment patriotique, en soutenant les courages par la confiance qu’il inspirait. Quant aux gueux de mer, ils formaient depuis le commencement des troubles une armée redoutable, que Guillaume avait cherché à régulariser, et qui s’était grossie naturellement de tout ce qu’il y avait de hardis marins, d’exilés, de persécutés, même de marchands ruinés ou de nobles à l’humeur aventureuse. Des ports anglais, où ils trouvaient un refuge, ils s’élançaient sur tous les navires espagnols et régnaient réellement sur la mer. Le duc d’Albe avait cru gagner beaucoup en obtenant de la reine d’Angleterre qu’elle fermât ses ports aux terribles corsaires. Ils se jetèrent audacieusement sur les côtes de Hollande, et ce fut l’origine de l’heureux coup de main de Brill.

Par l’action combinée et obstinée de ces divers élémens, la révolution des Pays-Bas avait fait un pas ; elle s’était révélée et constituée, prenant aussitôt, par la réunion des états-généraux à Dort, cette forme légale et pratique qui était dans le caractère national. La révolution avait son théâtre dans les îles, dans les marais, entre toutes ces digues de la Hollande où pouvait se jouer sa stratégie défensive, — ses citadelles dans toutes ces villes qui se ralliaient à sa cause. Elle avait aussi son armée, non plus de mercenaires étrangers, mais de citoyens résolus à défendre leurs foyers, de gueux formés à toutes les entreprises de mer. Elle avait surtout son chef aimé et appelé, son stathouder naturel, Guillaume d’Orange, qui, après s’être fait précéder par son lieutenant Marnix de Sainte-Aldegonde, écrivait avec une mâle sérénité : « J’ai délibéré de me rendre en Hollande et en Zélande, et de faire illec ma sépulture. » Le duc d’Albe n’avait eu jusque-là devant lui que des bandes difficiles à tenir sous les armes ou des victimes ; cette fois il avait un peuple, et tout était changé.

C’est le vrai moment en effet où la lutte prend un caractère nouveau, où se précise l’insurrection nationale et religieuse, et où commence aussi à se révéler la radicale impuissance du système