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appliqué depuis cinq ans aux Pays-Bas. Le duc d’Albe n’était pas homme à s’avouer vaincu, ni même surpris pour si peu. Il répondit à cette explosion nouvelle par un redoublement de violences. Son lieutenant Bossu rentrait dans Rotterdam par subterfuge, et livrait les habitans à ses soldats. Quand Mons fut repris, malgré une capitulation régulière l’œuvre de meurtre commença. Le conseil de sang étendit la main sur sa proie, et Noircarmes écrivait à ses commissaires : « Vous ne pouvez me faire de plus grand plaisir qu’en dépêchant au plus tôt ces rebelles et en procédant à la confiscation de leurs biens meubles et immeubles. Ne manquez pas de faire mettre à la torture tous ceux desquels on peut tirer quelque chose. » Malines avait eu l’air d’accueillir les rebelles, la ville fut livrée au pillage et au massacre. Le sac dura trois jours, et fut accompli avec une impartialité de fureur qui ne distinguait ni catholiques ni protestans. Ces exécutions étaient possibles encore dans les provinces flamandes et wallonnes, moins bien défendues, à la fois plus turbulentes et moins tenaces, surtout moins atteintes de l’esprit de la réforme ; mais en Hollande c’était une guerre à soutenir, une vraie guerre, où les passions religieuses enflammaient la résistance, où il y avait une organisation à vaincre, des sièges à faire, un pays dangereux à envahir, et où, sous l’apparence d’une lutte légale, se débattait en réalité une question d’affranchissement.

Je ne veux pas dire d’ailleurs que, si le duc d’Albe et ses lieutenans portaient dans cette lutte leurs habitudes implacablement cruelles, les insurgés hollandais se défendaient uniquement en chantant les psaumes de Marot. Ce n’étaient pas des agneaux, ces écumeurs de mer qui pillaient quand ils pouvaient les églises et se paraient bizarrement de chasubles, qui sillonnaient les golfes tranquilles de la Zélande en poussant des cris de vengeance. Les catholiques tuaient et pillaient, les protestans pillaient et tuaient aussi. Pour les Espagnols, un hérétique n’était pas un homme, et l’Espagnol, d’un autre côté, n’était pas un homme pour les gueux. Par une de ces contradictions qui se retrouvent sans cesse dans les affaires humaines, une insurrection qui se levait au nom d’une religion persécutée et de la liberté de conscience se faisait à son tour persécutrice et menaçait la liberté des catholiques. Guillaume d’Orange, dans sa ferme prévoyance, faisait tout ce qu’il pouvait pour défendre la pureté de sa cause, et il avait même inscrit, dans le serment de fidélité imposé aux magistrats nationaux l’obligation de « n’apporter en aucune manière des obstacles au culte catholique romain. » Les passions l’emportaient, l’esprit de secte se mêlait à la revendication la plus légitime, répondant à des excès par des excès. C’était la rançon des colères du moment. Le principe est resté,