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des gens sensés, paisibles, sympathiques certainement pour les Pays-Bas, à la condition que ces insurgés ne fussent pas trop révolutionnaires, mais qui ne pouvaient vouloir l’impossible. L’impossible pour eux, c’était de triompher de cette grande puissance de Philippe II. — La Hollande n’écouta qu’elle-même, et elle lutta. Ceux qui cherchaient sans cesse à détourner Guillaume d’Orange de son entreprise ne purent ébranler cette âme énergiquement stoïque, et cependant l’insurrection hollandaise, même au lendemain de son explosion définitive et de ses premiers succès, n’était pas dans une situation à encourager une futile et présomptueuse espérance.

La vérité est que tout était en flammes dans ce petit coin de terre, et que Guillaume d’Orange, cloué à son poste de Sassenheim, dirigeait tout, suivait avec un mélange d’émotion et d’impassibilité cette lutte où se débattait la destinée de son pays, où chaque étape était marquée par d’effroyables malheurs et des prodiges d’héroïsme, — un jour le sac de Naarden, où la population presque entière fut détruite, un autre jour le siège de Harlem, puis le siège d’Alkmaar, en attendant le siège de Leyde. Un moment il ne restait plus au duc d’Albe qu’une seule ville, Amsterdam, d’où il comptait s’élancer pour reconquérir la Hollande. Guillaume d’Orange se tenait au midi, son lieutenant Sonoy était au nord avec un corps de patriotes ; entre les deux se trouvait Harlem, ayant d’un côté l’océan à peu de distance, et de l’autre touchant au lac qui la séparait d’Amsterdam. Si les Espagnols prenaient Harlem, l’insurrection était coupée en deux. Ce fut là le théâtre d’un drame sanglant engagé entre le duc d’Albe, la ville assiégée et Guillaume d’Orange, d’une lutte prolongée et compliquée de combats sur le lac, de chocs meurtriers, de tentatives du chef de l’insurrection pour secourir ses amis ou pour isoler à son tour et affamer son ennemi dans Amsterdam. Trente mille Espagnols s’accumulèrent autour de Harlem. Il n’y avait dans la ville que quatre mille soldats ; mais la population entière était animée d’une résolution désespérée. Les femmes elles-mêmes avaient formé un corps de volontaires commandé par une veuve d’une des premières familles. Les Espagnols avaient cru d’abord entrer par un coup de main à travers des murs mal fortifiés, mal défendus ; ils ne tardèrent pas à voir que ce ne serait pas tout à fait ainsi : trois fois les assauts se répétèrent, trois fois ils vinrent se briser contre l’invincible résistance des assiégés, qui se faisaient une arme de tout, qui réparaient incessamment les brèches ouvertes par le canon espagnol. Pendant sept mois, le siège se prolongea à travers les plus dramatiques, les plus sombres péripéties, et le duc d’Albe lui-même écrivait au roi « qu’il n’y avait jamais eu sur la terre de guerre semblable, que jamais place n’avait