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bre, rimes, — il fait un bûcher des cendres duquel, comme un phénix, la musique va naître. Métastase, qui fut le Scribe de son temps, donnait tout à la forme, à la plasticité du poème, sorte d’échafaudage pour servir à l’édifice du compositeur. Chez Scribe au contraire, c’est la situation qui domine, la forme ne compte pas, l’œuvre ne vaut ni par le style ni par la couleur ; mais comme matière à contrastes, comme programme musical, c’est quelquefois admirable. Vous y retrouvez jusqu’aux tendances politiques du moment. On conçoit quel immense parti dut tirer d’un pareil ouvrier le génie d’un Meyerbeer avec sa double vocation de critique et d’artiste. Meyerbeer ne fut jamais un simple musicien. Ni ses conditions de naissance et de fortune, ni le mode de son éducation n’étaient de nature à faire de lui ce qu’on appelle un spécialiste. Il arrivait à la musique par la grande route de la vie et non par le chemin de l’école. de la ses variations d’esthétique, son cosmopolitisme, de là certaines contradictions douloureusement ressenties au fond de l’être qui furent comme les revendications tragiques du destin dans son existence d’olympien. Je ne pense pas qu’on doive juger un grand artiste uniquement d’après la mesure absolue de son art. S’il fut le moins naïf des inventeurs, sa haute raison, la vaste culture de son esprit le mirent à même de faire pour cet art plus que nul autre n’avait fait, et d’élever en quelque sorte d’un degré le niveau social de la musique en lui ménageant son entrée dans ce cercle magique où elle allait se rencontrer avec la poésie, la littérature et la vie politique de son temps. De ce que l’art y perdit, la cause de l’intelligence en profita. Il est certes permis à notre époque de déplorer qu’on n’y sache plus peindre aussi naïvement qu’un Giotto ; mais, tout en déplorant ce grand malheur, on peut également s’en réjouir.

Scribe convenait à Meyerbeer. Ce n’était point, comme avec Auber, une association de deux esprits de même famille se complétant l’un par l’autre ; c’était une sorte de commerce indépendant entre consommateur et fabricant. Poète autant qu’on peut l’être, Meyerbeer n’avait besoin que d’un metteur en œuvre habile à donner force de situation à l’idée qu’il apportait. Cette idée, Scribe ne la comprenait pas toujours du premier coup ; il la désoriginalisait, lui donnait couleur bourgeoise, et c’était au tour de Meyerbeer, la reprenant de ses mains, de lui rendre sa virtualité première. On eût dit une pierre précieuse, émeraude, rubis ou diamant, devenue terne sous le souffle du lapidaire, et dont l’art de ce Cellini rallumait l’éclat naturel.

Ainsi s’étaient faits Robert le Diable, les Huguenots, ainsi se forma