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marqué. Ici c’est Pauline Viardot, la Rosine Stoltz, plus loin Sophie Cruvelli. Des trois, laquelle choisirait-on, si c’était possible ? On serait fort embarrassé de répondre. On fait comme Meyerbeer, on doute, on hésite ; pour former l’idéal entrevu, aucune isolément ne suffirait ; on rêve un composé des trois.

Ajouterai-je qu’à cet idéal Mme Marie Sax ne répond pas absolument ? Qui donc l’ignore ? Et pourtant elle remplit le rôle, chose énorme ! du commencement à la fin, mène sa tâche avec honneur, et je ne vois pas de quelle cantatrice actuelle on en pourrait dire autant. Si dans la scène du dénouement l’interprétation laisse à désirer, si la distinction, le charme, la poésie manquent, la partie énergique, sauvage du rôle est rendue puissamment. Au premier acte, quand elle entre avec Nélusko dans la salle du conseil, elle contemple la nouveauté de ce spectacle avec des étonnemens farouches où se mêle un grand air de dignité. Elle dit bien la phrase pathétique de son duo du cinquième acte, et réussit surtout dans l’accentuation douloureuse du caractère. La voix de Mme Marie Sax, d’une étendue, d’un timbre, d’une égalité magnifiques, n’aurait besoin que d’être modérée. Cette force de résonnance trop souvent pousse au cri, l’âme y est, mais non le style, et le style, c’est la cantatrice ; ce qui n’empêche pas Mme Sax de moduler très agréablement la berceuse indienne du second acte et d’avoir un élan superbe dans le duo capital du quatrième sur cette phrase : « O transports ! ô douce extase ! » qu’elle attaque en vraie fille du soleil. Somme toute, Mme Marie Sax est une Africaine fort sortable. Elle joue et chante le rôle ; sans chercher à savoir ce qui se passe au-delà de son horizon ; ce qu’a voulu, ce qu’a rêvé Meyerbeer, elle s’évertuera corps et âme à le faire si vous le lui dites, mais je doute que d’elle-même elle songe à s’en rendre compte. Elle exécute, ne crée pas. Une voix splendide, beaucoup de bonne volonté, de l’intelligence et de la passion, — le maître, après avoir mûrement réfléchi, avait jugé que par le temps qui court ces élémens lui devaient suffire. Tâchons de ne pas nous montrer plus difficiles.

Nous n’aimons point les classifications et pensons qu’il ne nous sied pas de distribuer des places aux chefs-d’œuvre ; toutefois, si quelqu’un nous demandait quel rang dans l’œuvre de Meyerbeer nous assignons à cette partition de l’Africaine, nous qui jusqu’à présent n’avons cessé de regarder le Prophète comme la plus haute, la plus puissante manifestation de ce génie, nous n’hésiterions pas à répondre : « Mettez les quatre ouvrages à leur ordre, non point de représentation, mais de naissance, et que ce soit la date qui prononce. » De Robert le Diable aux Huguenots, des Huguenots à l’Africaine, de l’Africaine au Prophète, ainsi l’on irait, toujours