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aumônes sont de quatre cent cinquante marcs d’argent ? — Dieu, qui les reçoit, répondit le moine en attachant sur elle un regard sévère, n’a pas besoin qu’on lui dise ce qu’elles pèsent ; quant à moi, je ne me connais pas à ces choses-là. N’oubliez pas, ma fille, que Dieu, qui n’a pas dédaigné deux oboles offertes par les mains de la veuve, les a peut-être plus estimées que les plus grands présens des riches. » Les deux Macaire, autres Lycurgues monastiques, n’étaient pas moins célèbres que Pambon. L’un, celui d’Alexandrie, demeurait au-dessus du lac des crocodiles, et semblait avoir apprivoisé ces hideux animaux, qui ne lui faisaient point de mal ; l’autre, dit l’Ancien ou l’Égyptien, avait hérité du bâton d’Antoine, à qui il avait fermé les yeux au désert de Colzim. Arsénius enfin devait à des austérités extraordinaires la réputation d’un pouvoir surhumain, et on lui avait donné le nom de Grand. Tout, dans cette contrée de l’ascétisme, était un monument de quelque saint décédé, et chaque lieu avait sa légende. On montrait l’arbre planté par tel moine, la caverne creusée par tel autre, ou l’échelle qu’il s’était fabriquée dans le roc vif. Des bêches, des pioches, des instrumens de travail, ayant appartenu aux plus illustres morts, restaient comme des reliques entre les mains de leurs disciples. Des visions, des miracles accompagnaient chaque récit, et étaient racontés avec la même foi qui les faisait écouter.

Paula, enivrée de tant de merveilles, voulait rester à Nitrie ; elle parlait d’y fonder un monastère, et ses jeunes compagnes, dans un pareil mouvement d’enthousiasme, protestaient avec elle qu’elles désiraient vivre et mourir dans ce lieu béni. Il ne fallut pas moins pour détourner Paula de cette singulière idée que le souvenir des engagemens qu’elle avait pris à Bethléem. On peut croire aussi que les sages avis de Jérôme contribuèrent à lui faire abandonner ce projet qu’il ne pouvait s’empêcher d’admirer tout en le blâmant. « Incomparable ardeur, écrivait-il plus tard, et courage à peine croyable dans une femme ! Elle oubliait son sexe, elle oubliait la délicatesse de son corps, et désirait habiter avec ses jeunes filles au milieu de tant de milliers de solitaires. Peut-être en eût-elle obtenu le pouvoir, tant cette résolution était sublime, si le désir des saints lieux n’eût parlé encore plus fortement à son cœur. »

Il faut le dire, ces autorisations n’étaient pas accordées légèrement par les supérieurs ecclésiastiques. Des abbés prudens, des évêques expérimentés, ne voyaient pas toujours sans appréhension l’établissement de monastères de femmes dans le voisinage des monastères d’hommes. Plusieurs blâmaient jusqu’à ces visites mondaines de matrones qui, si respectables qu’elles fussent, pouvaient laisser après elles parmi des reclus quelque ressouvenir du passé, ou quelque souffle de l’esprit tentateur. On voyait même des femmes