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le sang, être bien sûr que tout est fini. Alors seulement il respire et croit à l’impunité.

C’est sur cette curiosité du coupable que comptait M. Gestral. Aussi était-ce à dessein qu’il avait annoncé dès la veille l’heure de l’enterrement pour le lendemain, afin qu’un rassemblement se formât devant l’hôtel d’Isidore. Il n’avait point voulu reparaître en sa qualité de commissaire dans la maison, et s’était déguisé pour se mêler à la foule sans être reconnu. Il se proposait d’écouter les assistans, de les observer, et espérait qu’une circonstance imprévue, un hasard favorable, ou mieux encore une sagacité chez lui tout intuitive lui désignerait parmi eux le meurtrier. Quand il arriva, la foule était assez considérable, et les propos s’y échangeaient avec vivacité. Il y avait aux fenêtres ou dans la rue les habitans de l’hôtel, les voisins et bon nombre de passans. — C’est un amant qui a tué sa maîtresse parce qu’elle le trompait avec un autre, disait-on.

— Mais cet autre était le mari ; on n’est pas jaloux d’un mari.

— Ah ! il y a des gens si drôles !

— On tue le mari alors, ripostait un étudiant.

— C’est peut-être bien le mari lui-même qui a tué sa femme.

— Lui, par exemple ! s’écriait indignée la maîtresse de l’hôtel, un jeune homme si doux, si rangé, que j’ai logé six ans et qui adorait sa femme à ce point qu’il est presque fou maintenant ! Non, non, continuait-elle, c’est quelque vieux qu’elle n’aura pas voulu épouser et qui se sera vengé sur elle.

— Et il n’aura pas touché au mari pour faire croire que le mari est l’assassin.

— Cela, c’est très fort !

M. Gestral ne perdait pas un mot. Ces propos s’accordaient avec ses diverses hypothèses, et le bon sens de la foule concluait comme lui ; mais le meurtrier était-il là ? M. Gestral, allant d’un groupe à l’autre, ne découvrait aucun visage qui attirât particulièrement son attention. Le coupable avait donc l’habileté et la prudence de ne se point montrer dans ces premiers instans où le bruit et l’émotion se font autour de son crime, où il se trouve d’une façon dangereuse pour lui en dehors du courant électrique d’étonnement pour le forfait et de pitié envers la victime dont la foule est saisie. C’était évidemment, comme on l’avait dit, un homme très fort, et M. Gestral commençait à se flatter d’avoir rencontré un adversaire digne de lui. Il attendit que le convoi fût sorti de l’hôtel et eût tourné l’angle de la rue, puis, jugeant dès lors inutile de s’attarder plus longtemps, il se dirigea vers le chemin de fer. Il voulait aller le plus vite possible aux renseignemens dans la petite ville qu’habitait Isidore.

Sa première visite fut pour le notaire qui avait vendu sa charge