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au jeune homme ; mais le vieux praticien n’était pas chez lui. Il avait appris le matin par les journaux le tragique événement et avait couru à l’étude de son successeur. Il en avait repris le gouvernement et y pérorait au milieu des clercs, affairé, inquiet, s’assurant de l’état des dossiers, ne comprenant rien à la catastrophe et se lamentant pour son propre compte dans un désordre grotesque d’esprit et de costume. M. Gestral se nomma et le prit à part ; mais ce fut à lui de répondre aux questions du notaire. — Un jeune homme si honnête ! disait celui-ci. Il ne m’avait pas encore payé son étude, mais j’avais toute confiance en lui. Un cœur d’or, monsieur. On dit qu’il a tué sa femme dans un accès de somnambulisme. Allons donc ! un notaire somnambule, cela ne s’est jamais vu. Et s’accuser lui-même ! C’est absurde. Il n’y a que les innocens qui s’accusent, et ils ont tort, car on peut les croire. On l’a lui aura tuée… Mais aussi qu’allait-il faire à Paris ? S’amuser ! Est-ce qu’un notaire a le droit de quitter son étude pour s’amuser ? On s’amuse quand on fait son droit. Je vous jure, monsieur, qu’il est innocent !

— Soupçonneriez-vous quelqu’un ?

— Moi, monsieur ! personne absolument.

— Ne connaîtriez-vous pas quelque prétendant qui aurait été repoussé par la jeune fille, ou, si ce n’est elle, par sa mère ? A propos, Mme Segonat est-elle instruite de l’événement ?

— Mme Segonat ! Ah ! mon Dieu, où donc ai-je la tête ? Et moi qui n’y songeais plus ! La pauvre femme ! Elle est là-haut dans sa chambre, sur son lit. Je ne sais pas encore si on a fait les démarches. Elle a été frappée…

— Je le comprends ; mais calmez-vous.

— D’un coup de sang hier en sortant de dîner, et je ne sais pas si toutes les dispositions sont prises. Permettez que je sonne.

— Elle est donc morte !

— Mais oui, monsieur. Ne vous l’ai-je pas dit ? J’avais préparé une lettre pour en prévenir son gendre et sa fille lorsque le journal est arrivé. Maintenant c’est bien inutile. Le pauvre garçon a bien autre chose à penser. Cependant, monsieur le commissaire, si vous voulez vous charger de cette lettre, elle est tout ouverte, vous pourrez la lire. Où donc l’ai-je mise ?

— Je vous en prie et au besoin je vous y invite, fit M. Gestral impatienté, mettez un peu d’ordre dans vos idées. Mme Segonat est morte. Fort bien. Vous étiez son notaire ?

— Oui, monsieur.

— Avait-elle l’habitude de placer et de déplacer ses fonds ?

— Non, toute sa fortune est en rentes sur l’état.

— Depuis quand étiez-vous son notaire ?

— Depuis qu’elle était venue s’établir ici.