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point d’agir. Si la condamnation d’Isidore eût été prononcée, il se fût assuré de M. Darronc séance tenante. Heureusement tout s’était passé pour le mieux, et M. Gestral était optimiste. Cette première partie gagnée, il en entrevoyait une autre, bien plus sérieuse, à continuer d’après les mêmes erremens, car elle avait également pour base la stricte observation du cœur humain et le développement logique des sentimens qui l’agitent : elle devait amener le coupable, engagé dans un chemin sans issue, à se livrer lui-même.

M. Darronc, quel que fût son secret, était rentré chez lui dans un trouble inexprimable. Toutefois il s’était efforcé de toucher au dîner que sa vieille gouvernante, le seul domestique qu’il eût, lui avait servi. Après son repas, il s’enferma dans son cabinet, dont la porte ouvrait de plain-pied sur le jardin. Alors, à la lueur d’une seule bougie, il se promena de long en large, se tordant les mains, poussant de sourdes exclamations, se heurtant aux murs. Son visage s’éclairait tour à tour des feux de la haine et d’un impuissant désespoir. Par instans il se laissait tomber dans son fauteuil et y restait morne et abattu. Si M. Gestral l’eût vu en de tels momens, il se fût dit sans doute que cet homme avait perdu tout courage et regardait Isidore comme une proie qui lui échappait. A observer plus attentivement M. Darronc, on eût dit pourtant qu’il songeait à un second crime ; il se relevait brusquement, se promenait encore, puis, las d’inutiles fureurs, de regrets stériles, il s’arrêtait court dans sa marche, et allait, la tête dans ses deux mains, s’accouder sur le marbre de la cheminée ; mais cette méditation lente, traversée par des soubresauts, toute hantée de visions peut-être, n’aboutissait à rien. Il en sortait avec un cri étouffé et en levant le poing, comme si de rage il eût défié le ciel. Ce qui rendait son aspect plus effrayant peut-être, c’est qu’à ses angoisses morales s’ajoutait une souffrance physique presque hideuse. Il y avait sur sa face de subites et livides rougeurs, et ses yeux s’injectaient de sang. Les veines de son front étaient gonflées à se rompre. Le corps, à n’en pas douter, se débattait autant que l’âme sous un coup inattendu. Tout dans cet homme offrait l’image d’une jalousie rétrospective qui se réveillait avec des fureurs d’autant plus vives qu’elle se voyait trompée dans ses rêves de vengeance. Une autre idée lui vint, d’un ordre différent. Il prêta l’oreille, ouvrit rapidement la porte du jardin, qu’il parcourut en tous sens. Ses traits s’étaient décomposés ; il se souvenait sans doute de quelqu’un dont il redoutait la présence. M. Darronc avait peur. À ce moment encore, M. Gestral, s’il eût été là, lui eût souri comme à l’issue de la séance, de son tranquille et froid sourire. M. Darronc respira enfin, s’approcha de la glace, et, probablement effrayé de l’altération de son visage, se plongea la tête dans une cuvette pleine d’eau. Alors il se regarda