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avait frappé. Les habitudes de la maison n’avaient donc guère changé depuis l’assassinat d’Albertine. La chambre d’Isidore avait le numéro 2. On y parvenait, après avoir monté le premier étage, par un couloir sombre. A droite, dans ce couloir, il y avait une très petite chambre qui portait le numéro 1, et n’était séparée du numéro 2 que par la cloison. Cette chambre était inoccupée. En face, dans le mur, on avait pratiqué une sorte de bûcher fermé à clé. La porte en était très basse, ronde par le haut et percée d’une petite fenêtre en losange. Isidore, cette nuit-là, fut moins harcelé de douleur et d’idées funèbres. On se fait à tout. Le lendemain, comme il rentrait et allait prendre son bougeoir, il en vit un tout préparé avec sa clé à côté du sien : c’était celui du numéro 1. La chambre avait donc été louée dans la journée. Isidore eut le pressentiment qu’elle l’avait été par son ennemi. Il se coucha vite et attendit. Le locataire du numéro 1 rentra bientôt. Isidore alors feignit de dormir. Il avait glissé sous son traversin un pistolet de poche dont il comptait se servir. Une heure, puis deux s’écoulèrent. Se serait-il trompé ? n’avait-il qu’un voisin inoffensif ? Cependant ce voisin ne dormait pas. Isidore, dont les sens recevaient du péril possible une extrême acuité, saisissait tous les bruits d’une insomnie très réelle. C’étaient de légers pas très doucement hasardés par la chambre, quelques-unes de ces exclamations assourdies qui échappent à la volonté, et si l’étranger s’étendait sur son lit, ce qu’il faisait avec grande précaution, le mouvement continu d’un corps qui s’agite et se retourne. A l’école de M. Gestral et en face surtout de ce danger mystérieux qu’il savait planer sur lui, Isidore s’était vite formé. En supposant que ce fut l’assassin, sa longue veillée n’attestait-elle pas ses irrésolutions d’âme, sa défiance du succès et la difficulté presque physique qui s’ensuit à marcher à l’accomplissement d’un crime ? Et tout portait Isidore à croire que c’était l’assassin. Cet homme, depuis que M. Gestral lui avait prêté l’intention d’un second forfait, n’avait-il point hasardé chaque jour un nouveau pas dans la voie où son secret et terrible adversaire s’était promis de l’engager ? Quoi donc d’étonnant à ce qu’il franchît le seuil de cette maison ? Seulement il n’y devait point venir à la hâte et s’enfuir de même. Il avait usé de trop de délais, il avait trop lentement réagi contre l’épouvante de se voir épié pour ne pas discuter jusqu’au bout avec la fascinatrice pensée de meurtre qui lui était venue, dont il subissait le charme, mais à laquelle la peur l’aidait encore à résister. Dans cette petite chambre au contraire, qui était sa dernière étape, il se sentait libre. Il pouvait s’assurer à son aise que le crime était possible, même facile. Il ne risquait pas, comme la première fois, de se heurter en aveugle à quelque obstacle imprévu. Jusqu’au dernier moment, il pouvait s’abstenir et battre en retraite.