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inutile, et cet homme qu’elle m’a préféré, qui l’a possédée, innocent, acquitté, vivrait heureux, tandis que moi… » Il n’acheva point et passa la main sur son front, qui ruisselait de sueur. « Non, non, tuons-les l’un après l’autre sur ce même lit, comme ils l’ont mérité ! » Il entr’ouvrit la chemise d’Isidore. « Si je l’éveillais, afin qu’il sache bien que c’est moi qui le tue ! » Il se consulta quelques secondes. « Non, ce serait imprudent, il se débattrait. Allons ! » Il mit à nu la poitrine d’Isidore, et, tout absorbé dans ces préparatifs, ayant bien choisi l’endroit, il leva son couteau et se haussa un peu sur la pointe des pieds pour mieux précipiter le coup : « Tiens ! fit-il, à toi ! »

Mais au moment où l’arme allait s’abaisser, il se sentit le poignet pris comme dans un étau pendant que deux mains s’emparaient de son autre bras. M. Darronc ne put que tourner la tête et se vit entre M. Gestral et son agent. Il resta bouche béante et les yeux dilatés. — Oui, fit M. Gestral, c’est bien moi, et il ajouta : Commissaire de police.

Ces simples mots semblèrent enlever un dernier espoir au misérable, qui tomba tout d’une pièce sur le carreau. — Liez-le, dit tranquillement M. Gestral à l’agent.

Celui-ci, tirant des cordes de sa poche, se pencha vers M. Darronc : — Ce n’est guère la peine, fit-il. Il est quasi mort de peur et n’en reviendra guère.

M. Gestral appelait Isidore, qui ne remuait pas. Il eut besoin de le secouer pour l’éveiller : — Peste ! dit-il, comme vous dormez !

— Hein ? reprit Isidore, qui s’était dressé sur son lit. Que s’est-il passé ?

— Voyez.

Isidore comprit tout. — Et vous étiez là ? dit-il en serrant les mains de M. Gestral.

— Oui, depuis trois nuits dans le petit bûcher que j’avais fermé en dedans. Mon agent était ce garçon d’hôtel qui tirait le cordon tout endormi et ne s’inquiétait pas des gens qui rentraient. Nous veillions sur vous et sur lui, ajouta-t-il en montrant M. Darronc évanoui.

— C’est une expédition qui vous fera honneur et vous vaudra de l’avancement, dit l’agent.

— Bah ! reprit M. Gestral, qu’on me récompense ou non, je ne suis pas mécontent de moi. Cela me prouve que je ne m’étais pas trompé, et que mes petites théories ont du bon.


HENRI RIVIERE.