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cette conférence un billet ainsi conçu, où l’on retrouve quelque chose de la finesse du lawyer avec la sagacité de l’homme d’état : « A tous ceux que cela peut concerner. Toute proposition qui embrassera le rétablissement de la paix, l’intégrité de l’Union et l’abandon de l’esclavage, et qui sera présentée avec et par l’assentiment de ceux qui contrôlent les armées actuellement en guerre contre les États-Unis, sera reçue et examinée par le pouvoir exécutif des États-Unis, et l’on y répondra par des termes libéraux en ce qui touche tous les points collatéraux et secondaires. » Au printemps de 1865, le vice-président de la confédération, M. Stephens, ayant demandé à conférer personnellement avec M. Lincoln, le président consentit à le voir dans la rade du fort Monroe ; là encore il insista aussi énergiquement sur l’abolition de l’esclavage que sur la reconnaissance immédiate de l’Union, et tout en témoignant des intentions les plus conciliatrices, il refusa de se laisser entraîner dans aucune compromission dangereuse pour les grands principes qu’il avait charge de défendre.

Pendant cette longue conférence, tenue sous les canons du fort Monroe, il ne perdit pas de vue un seul instant l’objet principal qu’il s’était proposé d’atteindre. En vain M. Stephens lui fit-il entrevoir que les armées du nord et du sud se réconcilieraient bien vite sur de nouveaux champs de bataille où se mêleraient les drapeaux de tous les états, que dans l’ivresse de grandes victoires obtenues contre un ennemi du dehors les passions excitées par la guerre civile céderaient la place à des passions nouvelles, que, l’honneur militaire du sud une fois sauf, les sacrifices politiques coûteraient moins à son orgueil : M. Lincoln resta inflexible ; il ne voulut ni acheter le triomphe de l’Union au prix d’une guerre étrangère, ni sacrifier la race noire à l’ambition de son peuple.

M. Lincoln sentait toutefois que l’abolition de l’esclavage ne devait point conserver le caractère d’une mesure de salut public défensive et militaire en quelque sorte. Aussi, quand la convention de Baltimore, qui le porta pour la seconde fois à la présidence, lui demanda de soumettre au congrès d’abord, puis aux états, un projet d’amendement à la constitution, il s’empressa de le faire, pour effacer des lois du pays la dernière trace de la fatale institution qui avait failli le perdre. Je me trouvais à Washington pendant que la proposition d’amendement fut discutée, et je sais avec quel intérêt le président suivit toutes les phases de ce mémorable débat. Son langage s’était depuis quelque temps empreint d’une singulière solennité toutes les fois qu’il parlait de l’esclavage. On aime à répéter les paroles qu’il adressait au congrès dans son message du 1er décembre 1862 : « Concitoyens, nous ne pouvons échapper à l’his-