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ques, de nommer des conventions, des législatures, des gouverneurs. Il se montra toujours impatient de replacer un pouvoir civil, si fragile encore et si éphémère qu’il pût être, à côté du pouvoir militaire, pour enlever à l’occupation les caractères ou du moins l’apparence de la conquête. Cette préoccupation put l’entraîner à quelques fautes, mais il nous semble qu’elle faisait honneur à son libéralisme. Comme il le disait au reste dans sa proclamation du 9 juillet 1864, il ne voulait point inflexiblement se lier à un plan de reconstruction définitif. Il le répétait encore le 11 avril dans le dernier discours qu’il prononça en public. « Nous sommes, dit-il, tous d’accord sur ce point que les états séparés ne se trouvent pas dans une situation normale vis-à-vis de l’Union, et le but du gouvernement est de les placer dans une situation régulière. Je vois qu’il est possible et même facile de le faire en n’examinant pas si ces états sont jamais sortis de l’Union. Les trouvant dans l’Union, ne cherchons pas s’ils ont été dehors. Je voudrais que le corps électoral de la Louisiane se composât de cinquante mille, de trente mille, ou même de vingt mille électeurs, plutôt que de douze mille. Il est aussi regrettable que le droit électoral n’appartienne pas encore aux hommes de couleur. Je voudrais que ce droit fût au moins conféré aux hommes de couleur intelligens et à ceux qui ont servi comme soldats. Cependant la question reste la même. La Louisiane ayant maintenant un gouvernement d’état, faut-il essayer de le modifier et de le fortifier, ou faut-il le rejeter entièrement ? Il y a dans cet état douze mille électeurs qui ont juré fidélité à l’Union, organisé un gouvernement, adopté une constitution libre (c’est-à-dire abolissant l’esclavage). Faut-il désorganiser ce corps et retirer la coupe de la liberté des lèvres des noirs ? Au contraire, si on encourage ce nouveau corps électoral, il adhérera à son œuvre, il fera des prosélytes, et l’homme de couleur finira par obtenir la franchise électorale. Admettons que le gouvernement de la Louisiane ne soit qu’un œuf : ne vaut-il pas mieux le couver que de le briser ? Ce qu’on peut dire de la Louisiane, on peut le dire des autres états. Les principes sont inflexibles ; mais il n’est pas possible, dans une transformation aussi extraordinaire, de poser une règle inflexible. Je devrai peut-être faire une nouvelle proposition au sud, quand le moment sera venu. »

M. Lincoln ne tenait pas plus obstinément aux hommes qu’aux mesures : dès qu’ils pouvaient servir son grand dessein national, tous lui étaient bons ; dès qu’ils devenaient un obstacle, tous étaient rejetés. Il ne sacrifia jamais le plus mince devoir à ses amitiés personnelles. Les démocrates avaient accès aussi facilement auprès de lui que les gens de son propre parti. Il n’eut jamais de favori et se déroba toujours aux influences trop envahissantes. Seul responsable,